samedi 3 mai 2008

Monique Hébrard : "J'avais à l'époque le schéma d'un Dieu castrateur, qui empêche la joie de vivre"

Témoignage Monique Hébrard, ancienne journaliste à "Panorama"

«Je suis issue d’une famille très chrétienne : mes parents étaient des catholiques très pratiquants, assez fermes dans leur éducation sans être étouffants. Mon père était engagé socialement, ma mère élevait ses six enfants. Très vite, je me suis engagée au sein de l’aumônerie de mon lycée, puis au sein de la JECF, jusqu’à faire partie de l’équipe nationale (un peu avant la crise de 1965).
J’avais alors une profonde admiration pour l’Église, je travaillais avec beaucoup de prêtres et de laïcs : j’étais dedans à 100 %. Mais c’est à l’équipe nationale de la JECF que j’ai progressivement pris conscience que l’on pouvait faire une analyse critique et politique de l’Église. Cela a commencé à m’ébranler.
Mai 68 m’a donné les mots pour analyser mon malaise : je suis entrée à fond dans la synthèse critique. J’ai passé des heures à l’Odéon, sur les trottoirs devant la Sorbonne à refaire le monde et l’Église… J’ai pris mon pied ! Je participais à la fois aux réunions de petits groupes chrétiens contestataires – comme « La Lettre », avec Jacques Chatagner – et à celles du Mouvement de libération des femmes. Cette phase a été dure avec mon mari (je me suis mariée en 1967), qui était chef d’entreprise et qui, lui, subissait la grève.
J’étais révoltée contre l’Église et me suis mise à avoir une haine viscérale du clergé, que je jugeais misogyne. Je me disais : de quel droit me donnent-ils des ordres sur ma vie privée ? Quand, en juillet 1968, est tombée l’encyclique de Paul VI Humanae vitae, interdisant la pilule, ça a été le coup de trop. Beaucoup de mes copines ont quitté l’Église. Pendant toute cette période, j’étais à la fois très exaltée, et en même temps mal à l’aise : il s’exerçait un vrai terrorisme intellectuel qui interdisait toute nuance sous peine d’être rejeté du groupe.
Sur la question de la femme, par exemple, on ne pouvait plus parler de féminité : l’égalité impliquait que l’on gomme toute différence entre hommes et femmes ! Il aurait fallu beaucoup de maturité pour faire la part des choses.

Des années assez schizophréniques
Les années qui ont suivi ont donc été assez schizophréniques : j’étais partagée entre ma tête – toujours très critique – et mes tripes, enracinées dans la culture et la spiritualité chrétiennes. La naissance de ma première fille en 1969 m’a bouleversée : je suis entrée à la maternité en me disant que j’allais perdre mon indépendance, j’en suis ressortie en réalisant que ce fil à la patte était merveilleux. Mais je nageais toujours dans la contradiction entre mes théories féministes et mes comportements : d’ailleurs une collègue m’a fait un jour remarquer méchamment que j’étais féministe et cependant mariée et mère de famille.
Ce furent des années de souffrance. Avec mon mari, tous les dimanches, on se fâchait : il voulait emmener les enfants à la messe, moi je voulais les laisser libres. Un seul fil rouge m’a toujours rattachée à l’Église : le petit groupe de copains qui se réunissait alors, un dimanche par mois, autour d’un jésuite formidable qui a su nous accompagner et écouter tout ce que nous avions à dire.
Et puis en 1976, j’ai entendu parler du Renouveau charismatique, installé en France depuis deux ou trois ans déjà. Je m’intéressais alors aux communautés néorurales, aux hippies, à tous ces courants alternatifs, écolos et généreux. Je suis donc partie en reportage dans une communauté du Lion de Judas (NDLR : les Béatitudes aujourd’hui), guidée de l’intérieur par ma recherche.

Je dois beaucoup aux charismatiques
J’ai eu l’impression de débarquer sur une autre planète : j’ai vu des gens jeunes, beaux, fraternels, qui avaient donné leur vie pour Dieu et étaient néanmoins heureux. Moi, j’avais à l’époque le schéma d’un Dieu castrateur, qui empêche le plaisir, la joie de vivre. Cela m’a posé question et j’ai décidé d’approfondir en écrivant un livre Les nouveaux disciples. Pendant plusieurs mois, au cours de différents reportages, j’ai vécu une grande bagarre intérieure.
C’est au cours du dernier, en juillet 1978, à un week-end de la Communauté chrétienne de formation (Fondacio aujourd’hui) que tout a basculé : j’ai retrouvé un amour très profond pour l’Église. J’ai compris qu’elle pouvait être sainte et humaine à la fois. S’en est suivi un long, long travail de réflexion, de recherches, grâce, par exemple, à mon second livre, publié en 1982, sur Dieu et les femmes.
J’ai peu à peu compris que la misogynie ne venait pas de l’Église mais des profondeurs psychanalytiques. Je ne suis pas entrée chez les charismatiques, car je suis trop critique et indépendante, mais je leur dois beaucoup. Je suis maintenant engagée dans l’Église et l’aime passionnément. On peut garder un esprit critique sans forcément se situer à l’extérieur. »
Recueilli par Anne-Bénédicte HOFFNER
(1) Auteur de nombreux ouvrages, dont De mai 68 aux JMJ 97 : trente années vues par une journaliste catholique (Desclée de Brouwer)

Aucun commentaire: