vendredi 16 mai 2008

L'éthique du capitalisme menacée par son esprit

Le Figaro 13/05/2008 |


Crédits photo : Le Figaro

La chronique d'Yves de Kerdrel du 13 mai.

Pendant les ponts du mois de mai l'actualité continue. On a pu voir certains médias s'exciter en boucle à l'idée qu'un groupe financier belge propose à ses clients des contrats d'assurance-vie, dont la valeur future serait indexée en partie sur le prix des matières premières agricoles. C'était, paraît-il, la preuve de l'immoralité flagrante d'un certain capitalisme financier, et le témoignage du cynisme des épargnants.

Les radios, les télévisions et certains journaux ont fait le raccourci facile entre la pénurie actuelle de certaines matières premières, donc la flambée des prix agricoles et la spéculation à laquelle prendrait part des financiers. Tout cela au bénéfice de supposés «rentiers». On a même pu entendre sur certaines ondes un mauvais jeu de mots entre ce contrat d'assurance-vie et les «décès assurés» que ces nouveaux produits financiers entraînaient de facto dans l'hémisphère Sud du fait de l'envolée des prix du riz. Il est fort probable que c'est ce qu'ont dû retenir la plus grande partie des auditeurs ou des téléspectateurs qui ont entendu une telle information.

On ne cherchera pas ici à démonter cette mauvaise foi, et surtout cette incompréhension des mécanismes économiques. Parce que tout cela a des ressorts profonds qui sont la méfiance, voire le dégoût des Français pour l'argent, un héritage judéo-chrétien qui dénonce l'accumulation («il sera plus difficile à un riche d'entrer au paradis qu'à un chameau de passer par le chas d'une aiguille») et une histoire nationale qui de la déchéance de Jacques Cœur à l'inepte impôt de solidarité sur la fortune a toujours cherché à étêter ceux qui créent de la richesse pour le pays.

Le problème, c'est que le capitalisme, aussi efficace soit-il, n'est évidemment pas exempt de comportements déviants qui apportent régulièrement de l'eau au moulin de ceux qui aiment à le dénoncer dans son ensemble. Ce que les Anglo-Saxons dénoncent régulièrement sous le vocable de cupidité (greed), se manifeste ici ou là par des agissements soit fautifs soit excessifs. Fautif, on l'a vu récemment avec l'affaire UIMM, même si cela n'a pas donné lieu a priori à de l'enrichissement personnel, ou aux présumés délits d'initiés sur EADS.

Excessif, on le voit encore quelquefois lorsque tel patron se fait octroyer par son conseil d'administration une part léonine de stock-options, ou bien lorsque les dirigeants aussi pétris de bonne éducation que ceux d'un groupe nommé Wendel, délestent les 950 actionnaires familiaux de quelques centaines de millions d'euros de plus-values par un tour de passe-passe à la frontière de l'orthodoxie. Et lorsque, cerise sur ce gâteau, le principal bénéficiaire de ce jeu de bonneteau se trouve être l'ancien président du Medef, cela fait mauvais effet.

Ces deux affaires de la semaine écoulée font ressortir un vieux débat philosophique, dont le pays n'a jamais réussi à sortir. D'un côté il y a l'esprit du capitalisme, qui vise à créer le maximum de richesse, qui pousse à prendre les risques sans lesquels il n'y a pas de progrès et qui cherche à utiliser les multiples possibilités ouvertes par la finance, y compris toutes les formes de spéculation (au bon sens du terme, en se rappelant que speculare signifie prévoir en latin). C'est tout ce que l'on retrouve dans les écrits de l'Allemand Schumpeter.

D'un autre coté il y a l'éthique du capitalisme. C'est cette vision très protestante du monde des affaires qui s'est largement développée dans les pays anglo-saxons et qui d'abord et avant tout consacre le travail, mais aussi une forme d'accumulation du capital réalisée dans le strict respect des règles de droit et d'équité. Le sociologue allemand Max Weber a démontré comment la pratique protestante favorisait le mieux cette «éthique» du capitalisme. Lorsque l'on compare la manière dont les Peugeot ont, par exemple, développé leur groupe, avec rectitude, et souci de la pérennité, à la conduite par les Agnelli de leurs propres affaires, on retrouve cette différence entre un capitalisme respectivement weberien et schumpeterien.

Mais au-delà de ce débat byzantin sur l'éthique du capitalisme, il y a aujourd'hui un troisième élément dont ceux qui créent la richesse ne peuvent plus faire abstraction, c'est «l'opinion». Cette «reine du monde» comme la qualifie Jacques Julliard n'est pas la vérité. Mais elle peut faire naître beaucoup de contre-vérités. En moins de 48 heures, elle transforme un souscripteur de produits d'assurance-vie avisé en un affameur de la population mondiale. Et elle fait, à tort ou à raison, d'un ancien président du Medef qui a œuvré pour réconcilier la France et l'Entreprise, un financier cupide aux dépens de ses cousins.

Face à ce phénomène «d'économie d'opinion», dont Alain Minc avait vu émerger le risque, il y a deux attitudes possibles : la transgression ou l'éducation. La seconde est a priori préférable à la première dans un pays où tout signe extérieur de richesse est qualifié de «bling-bling». Le rapport Attali a d'ailleurs donné une quantité de pistes utiles pour réconcilier les Français, et notamment les jeunes, avec l'argent et la réussite. L'essentiel est que cette formidable machine à faire progresser le monde, qui s'appelle le capitalisme, ne soit pas mis à mal par la cupidité ou par un effacement de la morale.

N.B. : l'auteur de ces lignes étant aussi membre du comité d'éthique du Medef, ce texte n'engage que lui.




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