vendredi 16 mai 2008

Le secret des sources peut-il tenir face au juge ?

Le Figaro 15/05/2008

Alors que l'Assemblée nationale étudie le projet de loi sur la protection des sources des journalistes, Georges Fenech, magistrat et ancien député s'interroge sur l'hypocrisie qui permet à un journaliste de cacher ses sources, alors que le juge peut les lui faire avouer.

La France, mieux vaut tard que jamais, s'apprête à inscrire le principe de la protection des sources des journalistes dans la vieille loi sur la liberté de la presse de 1881. Dorénavant, sauf lorsqu'un «intérêt impérieux» l'impose (notamment en matière de terrorisme) ou lorsque l'origine de l'information doit être recherchée à titre exceptionnel, en raison de la nature et de la particulière gravité du crime ou du délit commis, les garanties du journaliste sont renforcées.

Il en va ainsi du domicile du journaliste visé par une perquisition ou encore de la faculté de ne pas révéler ses sources devant un tribunal correctionnel ou une cour d'assises et non plus seulement devant un juge d'instruction. Cette évolution législative va incontestablement dans le bon sens. Reste que sa réelle portée ne pourra se mesurer qu'une fois soumise aux feux roulants des juges. Et là, on peut émettre quelques réserves. Qu'adviendra-t-il de ces beaux principes face aux velléités judiciaires de mise en examen pour «recel de violation du secret de l'instruction» ?

Qu'on se souvienne des perquisitions et mises en examen visant l'hebdomadaire Le Point et le quotidien L'Équipe à l'occasion des fuites de l'affaire Cofidis. «Les secrets sont faits pour être violés», s'était vainement écrié Franz-Olivier Giesbert face à des juges déterminés.

N'aurait-il pas mieux valu, une fois pour toutes, mettre fin à l'hypocrisie de l'article 109 alinéa 2 du Code de procédure pénale ? À quoi sert-il en effet de dispenser le journaliste de révéler sa source devant un juge si ce dernier peut user de stratagèmes de contournement pour arriver jusqu'à l'informateur ? D'ailleurs, les juges français n'ont pas changé leurs pratiques, même face à la Cour européenne des droits de l'homme, qui, à deux reprises (arrêt Roemen et Schmit contre Luxembourg du 25 février 2003), a réaffirmé, apparemment dans le désert, que « des perquisitions ayant pour objet de découvrir les sources des journalistes, même si elles restent sans résultat, constituent un acte plus grave que la sommation de divulguer ses sources faite à un journaliste ». Face à ce risque, le journaliste détenteur d'une information couverte par le secret devra donc toujours se comporter en «dealer» pour éviter qu'on identifie son informateur, prendre soin, comme auparavant, de ne rien stocker sur son disque dur, changer régulièrement la carte SIM de son portable, employer un langage codé, en somme utiliser la parfaite panoplie du trafiquant.

«Le journalisme est le dernier des métiers», avait lancé Émile Zola en pleine affaire Dreyfus. Depuis, c'est bien toujours la même situation et le même dilemme ! Au nom de la liberté d'informer, faut-il violer la loi en se salissant les mains ou alors la respecter au risque de ne plus avoir de mains du tout ?

Par ailleurs, à y regarder de plus près, c'est en réalité «le silence» qu'on protège et non «la source» proprement dite. Le journaliste reste en effet seulement libre de ne pas trahir sa source. C'est une simple faculté qui lui est offerte. Celui qui céderait face à un juge pugnace n'encourrait aucune sanction pénale ou professionnelle.

À cet égard, les chartes professionnelles ont eu beau ériger la «non-révélation» en règle déontologique stricte, le législateur a, cette fois encore, préféré laisser le journaliste libre de se déterminer sans le soumettre, à proprement parler, à un secret professionnel. Si on avait opté pour la protection absolue de la source, on aurait créé un secret professionnel pour la presse au même titre que celui du médecin ou de l'avocat, car force est de constater que, en l'absence de portée légale de ces belles règles déontologiques, le journaliste se retrouve, comme par le passé, livré à sa seule conscience, contrairement, par exemple, au système suédois, qui protège la source contre la «trahison» du journaliste.

Pour connaître la portée réelle de la prochaine loi,il faudra encore attendre ce que les juges en diront. Le débat sur la liberté de la presse en France est loin d'être clos.

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