samedi 10 mai 2008

Autres temps, autres mœurs

par Franck Nouchi
LE MONDE 2 09.05.08 11h11

Claude Ditycon/Le Monde 2
La couverture du n°221 du magazine "Le Monde 2".


Les archives du Quai d'Orsay pendant Mai 68 témoignent des curieuses réactions diplomatiques que suscitaient ces événements. On rêve de consulter, dans trente ans, celles de 2008.
L'ennui, avec les télégrammes et autres dépêches diplomatiques, c'est qu'il faut, selon une contrainte du code du patrimoine, attendre trente ans avant de pouvoir en prendre connaissance. Pas question, à moins d'être ministre des affaires étrangères, d'analyser en direct ces documents adressés à l'administration centrale par les diplomates français en poste un peu partout dans le monde. Quel dommage! On y verrait, par exemple, comment, en langage Quai d'Orsay, notre ambassadeur outre-Rhin relatait l'hommage du chef de l'Etat à Angela Merkel, le 1er mai à Aix-la-Chapelle (Allemagne). "La presse parle beaucoup de notre couple", avait lancé M. Sarkozy à l'adresse du mari de la chancelière, Joachim Sauer, rebaptisé pour l'occasion "M. Merkel", du nom de son premier époux. "Angela et moi, on forme un couple harmonieux (…). En douze mois, monsieur Merkel, Angela et moi, nous nous sommes vus douze fois et, compte tenu de son emploi du temps, je suis prêt à comparer nos agendas!"

Autres temps, autres enjeux. Il y a quarante ans, cela n'aura échappé à personne, de Gaulle était au pouvoir et les rues de Paris s'embrasaient. Etabli à partir des archives secrètes du Quai d'Orsay, un ouvrage, Mai 68 vu de l'étranger (CNRS Editions, sous la direction de Maurice Vaïsse), rend compte de la stupéfaction suscitée un peu partout dans le monde par ces événements; une stupéfaction à la mesure du prestige dont jouissait alors le chef de l'Etat français. Cela prend parfois un tour cocasse. Le 30mai 1968, Jean Herly, ambassadeur de France à Bangui (République centrafricaine), adresse ainsi un message du général Jean Bédel Bokassa à transmettre "immédiatement" au général de Gaulle. Suppliant le chef de l'Etat français de garder le pouvoir jusqu'à la fin de son mandat, Bokassa, dans un texte qui fut diffusé toutes les deux heures par la radio nationale centrafricaine, explique qu'une "nouvelle politique s'instaure dans le monde et vient ébranler les institutions françaises, à savoir le péril jaune". A peine ce message diffusé, il décide de partir pour Paris "apporter son réconfort personnel au général de Gaulle". "J'ai longuement essayé, en vain, de l'en dissuader", précise Jean Herly.
A Cuba, pendant que les manifestants parisiens se réclament du Che, la presse fait preuve d'une grande modération. "Cette attitude, explique l'ambassadeur de France à La Havane, Henry Bayle, dans un télégramme du 10 juin 1968, répond tout d'abord au prestige dont le général de Gaulle jouit dans ce pays et à la conviction qui m'a été exprimée à plusieurs reprises que, si elle arrivait au pouvoir, la gauche non communiste infléchirait dans un sens conservateur et pro-américain notre politique étrangère." En Europe, une fois la crise passée, l'heure est aux analyses. De Bonn, l'ambassadeur François Seydoux envoie de longs télégrammes. Le 27 juin 1968, il relate un entretien qu'il vient d'avoir avec le chancelier Kurt Kiesinger : "Il s'est exprimé sur le général de Gaulle avec la déférente admiration qu'on lui connaît. Sa confiance n'avait jamais été ébranlée. Il n'était pas peu fier de constater que les événements lui avaient donné raison. Que serait devenue la République fédérale si les troubles et les désordres s'étaient prolongés dans notre pays? L'Allemagne avait besoin d'une France calme et forte." Plus que trente ans à attendre pour savoir ce qu'on disait le 1er mai 2008 de Nicolas Sarkozy à la chancellerie allemande…

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