lundi 17 novembre 2008

Telle une immense draperie ondulante, cette aurore boréale serpente lentement dans le ciel glacé de l’Alaska. Magique, sa lumière froide semble jouer avec les flammes du brasier allumé en plein vent. Ce spectaculaire phénomène atmosphérique, appelé aurore boréale dans l’hémisphère Nord et aurore australe dans l’hémisphère Sud, est caractérisé par des ondulations extrêmement colorées dans le ciel nocturne, le vert et le rouge étant prédominants. Provoquées par l’interaction entre les particules chargées du vent solaire et la haute atmosphère, les aurores se produisent principalement dans les régions proches des pôles, entre 65 et 75 ° de latitude. (Chris Madeley/Science Photo Library/Cosmos)


Jaillissant des flots comme un volcan vivant, cette baleine à bosse est en train de se régaler de centaines de poissons, d’abord encerclés par elle dans un cylindre de bulles sous-marines, puis gobés en une seule remontée. Un cliché magnifique rendu possible par l’extrême sociabilité de ces animaux, aussi joyeux que joueurs et peu craintifs, ce qui les rend évidemment très vulnérables. Rien qu’au cours du XXe siècle, 200 000 d’entre eux auraient été massacrés. Un carnage interdit depuis 1966 : de 20 000 individus en 1986, la population de ces mégaptères serait aujourd’hui repassée à 35 000. Pour le plus grand bonheur de ceux, nombreux, qui rêvent un jour d’en voir un. (Duncan Murrell/Biosphoto)

Bagarre au Saint-Sépulcre - Une scène qui n’a rien d’inhabituel, hélas ! Occupé nuit et jour depuis 1752 par les représentants de cinq Eglises chrétiennes (Grecs, Arméniens, Syriaques, Coptes orthodoxes, ainsi que catholiques latins), ce sanctuaire qui abrita (durant deux nuits seulement) le corps martyrisé de Jésus-Christ est régulièrement profané par ce genre d’affrontements, incroyablement haineux et violents, entre les différentes confessions d’une même religion. Cette fois-ci, l’armée israélienne a dû intervenir, pour éviter que le sang ne coule. Mais aussi pour protéger ce lieu saint entre tous, ainsi que la loi de 1967 lui en fait obligation. (Ammar Awad/Reuters)
A la limite du point de rupture, ce train chargé de pèlerins sunnites se prépare à quitter la gare de Multan, la sixième ville du Pakistan, dans la région du Pendjab. Par centaines de milliers, ces hommes et ces femmes se sont rendus dans la région pendant trois jours, à l’occasion d’une fête religieuse annuelle extrêmement populaire. Une fois la dernière prière dite, dans l’après-midi de dimanche dernier, la gare a été littéralement prise d’assaut, et le moindre espace disponible occupé. A l’intérieur des wagons, se déplacer tient du miracle. Plus question de monter ou de descendre. A petite vitesse, le voyage du retour promet d’être long et pénible. (Khalid Tanveer/AP Photo)


Cette photo ne doit rien au hasard. Minutieusement scénarisée par un commando de marines en charge du déminage de l’Afghanistan, elle sera probablement bientôt transformée en poster de recrutement pour l’armée américaine. Car les deux soldats au centre sont en train de procéder à une cérémonie de réengagement, pour trois ans, avec un bonus de 5000 dollars à la clé. Et s’ils ne paraissent guère paniqués par l’explosion du fond, c’est parce qu’ils l’ont commandée à distance, en amassant une partie des 30 kilos d’explosifs que leur commando découvre chaque jour, dissimulés dans les sables afghans par l’armée russe sous forme de mines, de grenades ou d’obus de mortier. (Samuel Morse/Sipa)

Appeler un Noir un Noir

Chronique de la médiatrice

par Véronique Maurus

LE MONDE 15.11.08


L'élection de Barack Obama a un avantage annexe, appréciable pour les médiateurs : on peut enfin écrire Noir, même dans un sous-titre de première page, comme dans Le Monde du 6 novembre ("... le vainqueur démocrate, premier Noir à accéder à la Maison Blanche"), sans recevoir une volée de messages criant au racisme. Ce jour-là, le terme a été utilisé 21 fois, idem le lendemain. Pas un reproche. Au contraire, des courriels ravis de notre couverture très complète de cette élection. C'est nouveau : jusque-là, mentionner la couleur de la peau, les racines ethniques ou religieuses d'une personne était tabou.

Il est vrai qu'il s'agit des Etats-Unis. Dans une page Focus du 26 août - "Pourquoi le métis Obama se définit comme un Noir" -, notre correspondant Sylvain Cypel a longuement expliqué que le mot "race", de ce côté de l'Atlantique, n'a pas le sens péjoratif qu'il a en Europe depuis la seconde guerre mondiale. Il désigne simplement un groupe humain, choisi par chaque citoyen, lors du recensement. Depuis 2000, un individu peut cocher plusieurs cases (par exemple "Hispanique" et "Noir") ou une seule, comme Obama, signifiant ainsi la communauté à laquelle il s'assimile. Une minorité (2,5 %) d'Américains se déclarent métis - en cochant deux races ou plus. "On ne dit pas le candidat métis, mais noir, car lui-même se revendique comme tel. C'est une culture politique", ajoute notre correspondant.
Cette approche décomplexée (de fraîche date il est vrai) n'a pas encore gagné la France. Durant toute la campagne américaine, nos correspondants se sont ainsi plaints du racisme sous-jacent de nos articles. "Je n'en peux plus de lire des précisions de couleur quand il s'agit de "noir (e)", écrivait par exemple Ana Chavanat (courriel). Hier une écrivaine "noire américaine", aujourd'hui "une députée noire et quatre sénatrices d'origine maghrébine"." Ce message faisait référence à deux articles : un portrait de l'écrivaine Maya Angelou (grande figure de la communauté noire américaine, amie de Malcolm X et de Martin Luther King) et une enquête intitulée "Où est l'Obama français ?" qui soulignait la faible diversité ethnique de la représentation nationale, en France. Dans les deux cas, le contexte justifiait l'usage du mot "noir (e)".
"J'ai été très étonnée, soulignait également Marcelle Espejo (courriel), de découvrir (...) qu'on identifie le père du sénateur McCain comme étant un "amiral en chef", alors que le père du sénateur Obama est un "Noir kényan". Sans doute l'origine ethnique de M. Obama suffit-elle pour situer sa carrière professionnelle... De même, la mère d'Obama est une "Blanche américaine", alors qu'on ne mentionne pas la couleur de la peau de la mère de Mc Cain, sans doute parce qu'elle n'est ni noire, ni latino, ni..., etc. Je suis très inquiète de voir ce dérapage dans les pages du Monde."
Les deux encadrés auxquels se référait notre lectrice résumaient en quelques lignes le parcours des deux candidats. Les précisions, qui auraient été choquantes dans un autre contexte, ne l'étaient pas dans ce cadre. L'origine de Barack Obama, Afro-Américain né d'un couple mixte, a eu, de fait, un poids non négligeable dans la bataille électorale - comme le fait que John McCain est le fils d'un amiral.
Où commence la discrimination, où finit le politiquement correct ? Le problème n'est pas neuf. Il est même un casse-tête pour les médiateurs. Rien, en effet, dans les chartes de déontologie n'interdit de préciser la couleur de peau, l'origine ethnique, la religion ou l'orientation sexuelle d'une personne, à condition que ces détails soient pertinents dans le contexte - ou que l'intéressé s'en prévale. Le Livre de style du Monde, ajoute, au chapitre Préjugé (s) : "Les rédacteurs s'interdisent d'utiliser toute formule ou tout cliché exprimant du sexisme ("une charmante greffière"), du racisme ("une cruauté tout orientale") ou du mépris social ("fils d'un modeste instituteur")."
Dans ce domaine, la faute s'apprécie au cas par cas et la maladresse n'est pas la moindre. Prenons deux exemples. D'abord une nécrologie du conseiller d'Etat Guy Braibant qui mentionnait "sa mère, une juive d'origine égyptienne". "Cette formulation laisse une impression de malaise, relève M. Lemesle (Maisons-Laffitte, Yvelines). Qu'est-ce que votre journal veut prouver ?" Cette précision, explique l'auteur de l'article, éclairait les liens de M. Braibant avec son cousin Henri Curiel, une figure de l'anticolonialisme, assassiné à Paris en 1978, qui l'avait profondément marqué.
Autre exemple, un portrait de la comédienne Marina Foïs. "Vous écrivez : "mère juive, père sarde", note Steven Lérys (Neuilly, Hauts-de-Seine). Je vous rappelle que le judaïsme est une religion, pas une nationalité." La remarque dans ce cas est justifiée, même si la formulation exacte - "Parents soixante-huitards, mère juive et psy, père sarde, chercheur en physique" - venait de la comédienne elle-même et visait à souligner la diversité culturelle dont elle est issue, plaide l'auteur de l'article. L'erreur, ici, relève de la maladresse et non du sous-entendu malsain. Mais elle doit, bien entendu, être évitée.
C'est de moins en moins facile. Le politiquement correct et les crispations identitaires progressant (avec le malaise de la société ?), la liste des termes tabous s'allonge, contraignant les rédacteurs à des périphrases de plus en plus artificielles : "minorités visibles", "jeunes de la diversité" ou "issus de l'immigration", etc. "Musulman" fait partie des termes sensibles, idem pour "Kabyle" - "Depuis plus d'un siècle, la Kabylie désigne une partie intégrante de l'Algérie !", proteste Luc Thiebaut (Dijon). "Jeune" lui-même devient suspect, car synonyme de voyou issu des banlieues - vérification faite, ce n'est heureusement pas le cas dans nos pages.
Depuis peu c'est au tour du mot : "9-3". Après la publication d'un article intitulé "Dans le "9-3", beaucoup d'ascenseurs, pas de formation", un lecteur habitant Le Raincy (Seine-Saint-Denis) écrit : "Les habitants de ce département se considèrent comme stigmatisés par le comportement des médias. Le mot nègre est banni, mais nous, on continue à nous traiter de "9-3", comme si c'était une nouvelle forme de langage." Vivement l'effet Obama !

Véronique Maurus

Article paru dans l'édition du 16.11.08.

dimanche 9 novembre 2008

Barack Obama, la nouvelle icône des politiques

Chronique
par Michel Noblecourt

LE MONDE 07.11.08 13h55
A droite comme à gauche, les politiques se sont livrés à un concours de superlatifs pour saluer l'élection de Barack Obama à la présidence des Etats-Unis. A l'aube du 5 novembre, Nicolas Sarkozy, après avoir cherché en vain à téléphoner au président élu, l'a félicité par écrit pour sa "victoire brillante". Et le Parti socialiste a jeté la rancune à la rivière. Le 25 juillet, quand le sénateur de l'Illinois avait fait un saut de puce à Paris, il n'avait vu que M. Sarkozy, qu'il a comparé à une "rock-star". Après avoir boudé le PS, il s'était empressé de recevoir à Londres - suprême vexation -,David Cameron, le chef de l'opposition conservatrice, proche des républicains américains.
Tout à la préparation de leur congrès, les ténors du PS y sont allés de leur couplet. François Hollande s'est félicité de "l'élection si symbolique de Barack Obama", tout en prévenant qu'"il défendra - et c'est son devoir - les Etats-Unis d'Amérique et non pas le monde". Martine Aubry a jugé que "le grand peuple américain a réalisé le formidable rêve de Martin Luther King en portant un homme noir" à la Maison Blanche. "Une merveilleuse nouvelle", a renchéri Benoît Hamon, au nom de l'aile gauche du PS, voyant en M. Obama "l'anti-Sarkozy". Même la communiste Marie-George Buffet y est allée de son compliment.
Pour saluer cette "victoire symbolique majeure contre le racisme" sans paraître se compromettre avec l'horrible Oncle Sam, Olivier Besancenot, l'initiateur du Nouveau Parti anticapitaliste, a eu recours à une dialectique aussi extravagante que rocambolesque : "Nous souhaitons que la liesse populaire ouvre la voie à la résistance face à la politique que va mettre en oeuvre Obama" (sic).
A l'extrême droite, Jean-Marie Le Pen a parlé d'une "victoire conjoncturelle" - "c'est la présidence de Bush qui est condamnée" -, éloignant tout soupçon de racisme par cette étonnante formule : "Ça me choque d'autant moins que la première fois que j'ai été élu député, en 1956, mon deuxième de liste était un Noir" (sic). Seule (petite) fausse note à droite, Hervé Mariton, député UMP de la Drôme, a affiché sur Canal+ sa préférence pour le républicain John McCain.
En rangs serrés derrière François Fillon, les ministres ont chanté les louanges de la nouvelle icône. Même la très catholique Christine Boutin, ministre du logement et de la ville, est restée dans le choeur. La présidente du Forum des républicains sociaux, opposée, comme la colistière de M. McCain, à l'avortement et au mariage gay, aurait pu "voter" Sarah Palin au nom de leur commun attachement au "dividende universel", ce revenu unique versé à tous les citoyens "du berceau à la tombe" sans conditions de ressources, pratiqué par l'Alaska depuis 1976. Mais Mme Palin défend la vente libre des armes. Vive Obama !
Cette empathie unanime pour M. Obama rappelle l'hostilité unanime contre George W. Bush. Le 12 septembre 2006, M. Sarkozy avait rompu ce consensus en faisant des pieds et des mains pour être reçu, photo à l'appui, par M. Bush. Dans un pamphlet intitulé L'Inquiétante Rupture tranquille de M. Sarkozy et coordonné par Eric Besson, le PS avait fustigé l'"extravagant voyage du ministre de l'intérieur" - qui avait vu, pour la première fois, son "copain" Obama -, "le spectacle d'un candidat à la présidentielle supposé issu de la famille gaulliste quémandant un rendez-vous dans un bureau attenant à celui du président des Etats-Unis" pour y critiquer l'"arrogance de son pays". Depuis M. Besson est secrétaire d'Etat. M. Sarkozy a resserré les liens avec M. Bush, bénéficiant sur la scène internationale de son agonie politique. Le voilà confronté à une icône qui risque de faire de l'ombre à son aura médiatique.
Courriel : noblecourt@lemonde.fr.

Michel Noblecourt

Article paru dans l'édition du 08.11.08.

Obama, une leçon pour les gauches d'Europe

Point de vue
par Isabelle Ferreras
LE MONDE 07.11.08 13h59 • Mis à jour le 07.11.08 13h59

Durant ces trente dernières années, la gauche européenne s'interrogeait : que diable faisaient les progressistes américains ? Où étaient-ils passés ? La question avait le don de rassurer. Car tout allait beaucoup mieux sur le Vieux Continent. Un continent européen qui, lui, avait de "vraies traditions" ouvrières, socialistes, solidement ancrées, contrairement à ce pauvre Nouveau Monde qui n'avait jamais lu Marx jusqu'au bout... Et la gauche européenne de se trouver toute réconfortée de porter ici ou là ses partis au pouvoir, de voir ses organisations syndicales tolérées... Et si l'histoire était plus complexe, et un rien moins charmante que cela pour la gauche du Vieux Continent ? Et si la scène politique américaine nourrissait la réflexion des gauches d'Europe ?
Que s'est-il passé aux Etats-Unis ? Après la Grande Dépression des années 1930, l'idée que l'Etat doit jouer un rôle crucial dans le fait de construire une économie saine s'est imposée. Le compromis social-démocrate, comme l'appellent les Européens, fondé sur la doctrine économique keynésienne, justifie alors une imposition au niveau de l'Etat fédéral américain, des dépenses publiques et une fonction redistributive fortes. Ce rôle-clé de l'Etat s'impose entre autres grâce à la mise en œuvre, avec succès, du New Deal de Franklin Roosevelt entre 1933 et 1936.
Cette période dramatique marque profondément les esprits de la droite américaine. Celle-ci se lance dans la bataille des idées, et débute un travail intellectuel et militant de plusieurs décennies qui engendrera la fondation de l'American Enterprise Institute (1943) avant celles des Heritage Foundation (1973) et Cato Institute (1977). Une pyramide de think tanks de droite, promouvant l'idée du "gouvernement limité", des libertés individuelles avant tout, de la liberté d'entreprendre sans entrave et du nationalisme américain couplé à une défense nationale "agressive".
Ces think tanks régressistes travaillent au corps le personnel politique républicain et son électorat par des relais médiatiques de plus en plus solides et contribuent aux succès électoraux du parti républicain, de Ronald Reagan à George W. Bush. Si la gauche américaine entame une longue traversée du désert au début des années 1970, c'est que les efforts entamés par ses adversaires trois décennies plus tôt portent leurs fruits. La contre-offensive idéologique menée par l'alliance des néolibéraux et des néoconservateurs est alors devenue trop puissante pour être endiguée.
Le programme du candidat Barack Obama est l'héritier, en miroir, de cette histoire d'hégémonie idéologique. Il y a dix ans, quand il se présente aux électeurs de Chicago, Obama est soutenu par la frange la plus progressiste parmi les démocrates américains. Il défend un agenda opposé au mainstream idéologique de l'époque : sécurité sociale renforcée, investissement public dans l'éducation et la santé, représentation syndicale dans les entreprises entre autres. Certes, aujourd'hui, parlant à toute l'Amérique, son discours s'est quelque peu arrondi. Mais les fondamentaux perdurent : une théorie de la fonction de la puissance publique restaurée dans sa capacité à jouer un rôle redistributif et industriel, à l'opposé de la doctrine de la droite américaine. Il y a huit et quatre ans, les candidats démocrates Al Gore puis John Kerry n'ont jamais osé articuler de tels principes.
Aujourd'hui, les Américains font confiance à Barack Obama pour restaurer l'économie, pas à John McCain. Serait-ce une question d'image ? Un candidat qui saurait dégainer son sourire craquant au bon moment ? Certes cela compte. Mais le retournement de situation provient bien d'un renversement idéologique préparé par la gauche américaine depuis de longues années.
Car que faisait la gauche américaine durant ces décennies d'inquiétude pour la gauche européenne ? Elle tirait les leçons de l'offensive des idées conservatrices. Elle organisait un contexte favorable à l'articulation d'un projet démocrate enfin différent de la copie version allégée du programme républicain. Elle s'attelait progressivement à une tâche titanesque. Elle réorganisait son tissu militant asphyxié entre un parti démocrate droitisé et des taux d'affiliation syndicale en chute libre (de la création d'Association of Community Organisation for Reform Now en 1970 à celle de MoveOn.org en 1998 et de Working America en 2003).
Elle poussait le Parti démocrate vers la gauche dans le contexte difficile d'un système majoritaire (création du New Party en 1992 et du Working Families Party en 1998). Enfin, elle rebâtissait un projet social-démocrate digne de ce nom en démontrant la pertinence de ses propositions au niveau des Etats et en marquant des victoires locales spécifiques (par exemple, la coordination de la qualification professionnelle dans les bassins d'emploi du Wisconsin coordonnée par le Center on Wisconsin Strategy).
Enfin, après le traumatisme de la prise de fonctions de George W. Bush en 2000, alors que la domination des républicains semblait plus inoxydable que jamais, la gauche s'est attelée à formuler sa vision et à rassembler une nouvelle coalition, au-delà des lignes de partage traditionnelles : élus locaux et nationaux, mouvement syndical, mouvement environnemental, églises de toutes confessions, green business leaders, centres de recherche progressistes, mouvements étudiants... Conçu après les attaques du 11 septembre 2001, le projet Apollo Alliance en est l'exemple emblématique.
A l'équation de Bush - terrorisme-destruction de l'environnement-délocalisation de l'emploi industriel -, l'Apollo Alliance a répondu : indépendance vis-à-vis des pays producteurs de pétrole et de terrorisme-sauvegarde de l'environnement et énergies renouvelables-emplois manufacturiers et de service, non délocalisables et syndiqués.
Aujourd'hui, ce n'est pas un hasard si Dan Carol, initiateur de l'Apollo Alliance avec Joel Rogers et Robert Borosage, se trouve être le director of content and issues ("directeur du programme et des enjeux") de la campagne Obama.
La force du candidat démocrate aujourd'hui vient aussi de ce long travail de préparation. Evidemment, la crise financière a accéléré ce travail de maturation. Evidemment, le charisme de Barack et Michelle Obama fait une réelle différence. Mais qui peut dire ce que serait la crédibilité - la capacité à être cru - du candidat démocrate sans ce patient travail de réflexion, de proposition et de coalition des gauches américaines ?
C'est à la gauche européenne de se poser aujourd'hui la question. Car il est à craindre qu'elle se trouve dans le même état de faiblesse idéologique et programmatique que celui dans lequel se trouvait la gauche américaine des années 1970.
Les victoires politiques se préparent sur le long terme. Rassembler ses composantes, articuler une vision cohérente, énoncer des propositions concrètes, ambitieuses et compréhensibles par tous, démontrer son sérieux et son efficacité par des succès locaux : voilà qui a contribué à la victoire attendue aujourd'hui. Et si les gauches d'Europe s'inspiraient, une fois n'est pas coutume, des Etats-Unis...

Isabelle Ferreras est professeur à l'Université catholique de Louvain, senior research associate, Labor and Worklife Program, Harvard Law School.

Article paru dans l'édition du 08.11.08.

Les historiens n'ont pas le monopole de la mémoire

Point de vue

par Catherine Coquery-Vidrovitch, Gilles Manceron et Gérard Noiriel

LE MONDE 07.11.08 13h59

Un débat ouvert dans Le Monde par les articles de Pierre Nora et Christiane Taubira (les 10 et 16 octobre) ne peut se réduire à une opposition entre historiens et politiques, car il divise aussi les historiens. Dès mars 2005, nous avons réagi contre la loi du 23 février qui invitait les enseignants à montrer le "rôle positif" de la colonisation, mais nous n'avons pas signé la pétition "Liberté pour l'Histoire" publiée neuf mois plus tard dans Libération. Nous ne pouvions pas accepter que la "loi Gayssot" (pénalisant les propos contestant l'existence des crimes contre l'humanité), la "loi Taubira" (reconnaissant la traite et l'esclavage en tant que "crimes contre l'humanité") et la loi portant sur la reconnaissance du génocide arménien de 1915 soient mises sur le même plan qu'un texte faisant l'apologie de la colonisation, et cela au nom de la "liberté de l'historien".
Nous l'acceptions d'autant moins que cet appel ne posait pas dans toute sa généralité la question du rôle de la loi par rapport à l'histoire, laissant notamment de côté d'autres "lois mémorielles" comme celle de 1999 substituant l'expression "guerre d'Algérie" à "opérations en Afrique du Nord". L'appel de Blois lancé récemment par les promoteurs de la pétition "Liberté pour l'Histoire" n'aborde pas, lui non plus, la question des rapports entre la loi, la mémoire et l'Histoire, sur des bases pertinentes. Contrairement à ce qu'affirme ce texte, nous ne pensons pas qu'il existerait en France, ou en Europe, une menace sérieuse contre la liberté des historiens.
Cet appel se trompe de cible quand il présente la décision-cadre adoptée le 21 avril 2007 par le conseil des ministres de la justice de l'Union européenne comme un risque de "censure intellectuelle" qui réclamerait leur mobilisation urgente. Ce texte demande aux Etats qui ne l'ont pas déjà fait de punir l'incitation publique à la violence ou à la haine visant un groupe de personnes donné, de réprimer l'apologie, la négation ou la banalisation des crimes de génocide et des crimes de guerre, mesures que la France a déjà intégrées dans son droit interne par les lois de 1990 et de 1972.
Il ne nous paraît pas raisonnable de laisser croire à l'opinion que des historiens travaillant de bonne foi à partir des sources disponibles, avec les méthodes propres à leur discipline, puissent être condamnés en application de cette directive pour leur manière de qualifier, ou non, tel ou tel massacre ou crime de l'Histoire. Pour la Cour européenne, "la recherche de la vérité historique fait partie intégrante de la liberté d'expression". La décision-cadre précise qu'elle respecte les droits fondamentaux reconnus par la Convention européenne des droits de l'homme, notamment ses articles 10 et 11, et n'amène pas les Etats à modifier leurs règles constitutionnelles sur la liberté d'expression.
LES "REPENTANTS"
En agitant le spectre d'une "victimisation généralisée du passé", l'appel de Blois occulte le véritable risque qui guette les historiens, celui de mal répondre aux enjeux de leur époque et de ne pas réagir avec suffisamment de force aux instrumentalisations du passé. Nous déplorons également la croisade que ce texte mène contre un ennemi imaginaire, les "Repentants", qui seraient obsédés par la "mise en accusation et la disqualification radicale de la France". L'Histoire, nous dit-on, ne doit pas s'écrire sous la dictée des mémoires concurrentes. Certes. Mais ces mémoires existent, et nul ne peut ordonner qu'elles se taisent. Le réveil parfois désordonné des mémoires blessées n'est souvent que la conséquence des lacunes ou des faiblesses de l'histoire savante et de l'absence d'une parole publique sur les pages troubles du passé.
Dans un Etat libre, il va de soi que nulle autorité politique ne doit définir la vérité historique. Mais les élus de la nation et, au-delà, l'ensemble des citoyens ont leur mot à dire sur les enjeux de mémoire. Défendre l'autonomie de la recherche historique ne signifie nullement que la mémoire collective soit la propriété des historiens. Il n'est donc pas illégitime que les institutions de la République se prononcent sur certaines de ces pages essentielles refoulées qui font retour dans son présent.
En tant que citoyens, nous estimons que la loi reconnaissant le génocide des Arméniens - heureusement non prolongée, à ce jour, par une pénalisation de sa négation - et celle reconnaissant l'esclavage comme un crime contre l'humanité sont des actes forts de nos institutions sur lesquels il ne s'agit pas de revenir.
Catherine Coquery-Vidrovitch, Gilles Manceron et Gérard Noiriel sont historiens et membres du Comité de vigilance sur les usages publics de l'histoire (CVUH).
Article paru dans l'édition du 08.11.08.

vendredi 7 novembre 2008

Après l'euphorie

Edito du Monde

LE MONDE
06.11.08 12h48 • Mis à jour le 06.11.08 12h48
L'élection de Barack Obama à la présidence des Etats-Unis a provoqué dans le monde entier, ou presque, une inflation de superlatifs : l'événement du siècle, pour les uns, l'espoir d'un nouveau commencement, pour d'autres, ou encore l'avènement d'un candidat de type nouveau, du vrai premier président du XXIe siècle ! Il y a du vrai dans toutes ces hyperboles. Dans l'arrivée du premier Noir à la Maison Blanche, le symbole est essentiel pour changer une image de l'Amérique ternie par huit ans de présidence Bush. Mais cette euphorie porte en elle-même le risque de la déception. Barack Obama en est conscient, qui a insisté dans son discours de Chicago sur les difficultés qui attendent tous les Américains et sur le long chemin à parcourir avant de vaincre trois grands défis : deux guerres, au Moyen-Orient et en Asie, et les conséquences économico-sociales de la crise financière.
C'est vrai pour la politique intérieure américaine. Les minorités et les Noirs vont se sentir mieux représentés, mais M. Obama devra se garder d'apparaître comme le président de la communauté de couleur, de même qu'il a pris grand soin pendant la campagne de ne pas être le candidat des Noirs. En refusant de mettre en avant, par exemple, la discrimination positive, il devra faire attention à ne pas apparaître comme un "traître" à sa communauté.
En politique étrangère, la situation n'est pas très différente. L'unilatéralisme qui a servi de doctrine diplomatique à George W. Bush cédera la place à une attention plus grande portée aux avis des partenaires. Mais, en dernière analyse, ce sont les intérêts strictement américains qui dicteront la conduite du président Obama. Ceux qui, aujourd'hui, entonnent sans discernement ses louanges pourraient être les premiers à déchanter. En Afghanistan, le nouveau président réclamera plus de troupes à ses alliés. Il soutiendra le rapprochement de l'Ukraine et de la Géorgie avec l'OTAN, quitte à irriter les Russes et à mettre dans l'embarras les Européens. On pourrait aussi ajouter les tentations protectionnistes renforcées par la crise économique.
Le temps n'est pas encore venu de brûler ce qu'on vient d'adorer. Les dernières années ont été si difficiles que la situation ne peut que s'améliorer. Mais des attentes excessives conduiraient inévitablement à de regrettables déconvenues. L'heure est à l'optimisme raisonné.

Article paru dans l'édition du 07.11.08.

L'homme qu'il faut

Editorial
par Eric Fottorino
LE MONDE 05.11.08 11h02 • Mis à jour le 05.11.08 13h43

D'abord il faut écrire ces mots en toutes lettres. Les lire lentement à haute voix pour mesurer l'ampleur de la nouvelle, sa charge d'histoire et d'émotion : le peuple américain vient d'élire à la Maison Blanche un homme à la peau noire. Quelle intelligence, quelle maestria, quel sang-froid aussi a-t-il fallu à Barack Obama pour enlever un scrutin qui, rappelons-le, était tout sauf acquis, si l'on se reporte moins d'un an en arrière. Combien d'écueils évités, de pesanteurs et de préjugés vaincus, avant de donner par sa victoire un puissant signal d'optimisme à l'Amérique et au reste du monde. Obama a fait coïncider l'espoir avec le noir. Sans que jamais, et ce fut sa virtuosité, il apparaisse comme le candidat d'une communauté.
Mêlant sa jeunesse à la sagesse qui n'a pas d'âge, le sénateur de l'Illinois a su dépasser les fractures originelles d'une nation née dans l'esclavage et la ségrégation pour la rattacher à son idéal fondateur, le fameux "E pluribus unum" : faire un seul de plusieurs; considérer que la multitude des origines n'empêche pas le partage d'une aspiration commune.
Président postracial? Oui, et surtout légitime pour se faire entendre sur les deux berges de cette cicatrice mal refermée entre Noirs et Blancs, ce passé "qui n'est même pas passé" comme il l'a déclaré, citant Faulkner, dans son exceptionnel discours de Philadelphie, le 18 mars, où s'est imposée sa quête forcenée et pourtant si calme, si sûre, d'une "Union plus parfaite".
Pour vaincre, il devait convaincre.
Barack Obama l'a fait en racontant une histoire "qui n'aurait été possible dans aucun autre pays du monde" ; son histoire métisse qui plonge ses racines en Afrique et en Asie. Un père Kényan (et non descendant d'esclave), une grand-mère paternelle vivant sur les bords du lac Victoria, une aïeule maternelle blanche, décédée la veille de son sacre, pleine d'amour et de préventions raciales, craignant les Noirs autant que l'ancien mentor d'Obama, le révérend Wright, pouvait fustiger les Blancs.
Le nouveau président a transcendé les tensions pour atteindre l'essentiel : placer dans une seule balance rancœurs noires et inquiétudes blanches, les unir dans un même dessein de justice. Il est ainsi le premier à s'affranchir d'une lourde et longue chaîne qui va des premiers esclaves bâtisseurs du Capitole au mouvement des droits civiques. De Martin Luther King à Malcolm X, de Rosa Parks (jadis verbalisée pour n'avoir pas cédé sa place à un Blanc dans un bus en Alabama), à Condy Rice ou à Colin Powell propulsés vers les sommets de l'Etat.
"Avant même d'être élu, Obama a fait plus pour la cause noire dans le monde que Martin Luther King", a pu déclarer ces jours-ci en privé un chef d'Etat Africain. "Ce sera d'abord un président américain", a jugé un autre. Parfait résumé de la scène qui va se jouer maintenant : les Etats-Unis ont en effet choisi un Américain qui défendra le leadership et les intérêts américains – jusqu'au protectionnisme –, et nul doute que des millions de Noirs se sentiront désormais plus américains qu'ils ne l'étaient avant, sans que des millions de Blancs s'en trouvent lésés.
"America is back", avait claironné Ronald Reagan en 1980. "America is black", nous dit aujourd'hui la plus grande puissance de la planète, une puissance meurtrie par ses guerres sans fin, par son image défaite, par la haine inouïe et insupportable qu'a pu susciter l'administration sortante, son repli sur soi, son manichéisme et ses réflexes anachroniques aux relents de guerre froide.
Après avoir par deux fois élu George W. Bush, dans un virage incroyable d'audace, de dynamisme et de foi en ses propres ressources, l'Amérique met ainsi un terme à sa révolution conservatrice faite de dérégulation et de loi sauvage du marché, achevée dans la crise des subprimes et l'écroulement du système financier. Grâce à son charisme et à sa lucidité, Obama s'impose ainsi comme l'homme du moment, l'homme du maintenant de l'Amérique, rejetant brutalement dans un hier sombre le président sortant et John McCain, qui prétendait lui succéder.
Voilà la chance de ce pays, et celle de ses partenaires. Celle aussi de ses ennemis, à commencer par l'islamisme armé qui s'est nourri d'une idéologie bushiste belliqueuse, de ses slogans répulsifs sur l'"axe du Mal", de ses pratiques indignes d'une démocratie, de Guantanamo à Abou Ghraib. Après Bush enfermé dans ses certitudes démenties par la réalité, Obama offre au monde un autre visage, en même temps qu'à l'Amérique l'occasion tant espérée de se regarder en face, dans un respect retrouvé de soi, de ses valeurs et de ses institutions politiques.
"Obama va régénérer la marque Amérique comme Jean Paul II a relevé la marque papauté", note avec esprit le commentateur Andrew Sullivan. De l'avis de Jean-David Levitte, conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy et excellent connaisseur des Etats-Unis, où il représenta longtemps la France, le nouveau président "ne porte pas une vision différente du monde. Il s'est construit seul et ne doit rien à personne".
Ayant forgé lui-même ce qu'il est, son message et son programme, "il n'est pas marqué par une idéologie démocrate" qui viendrait se substituer à la précédente.
Le maître mot qui vient au sujet de Barack Obama, c'est son pragmatisme. Sans doute sera-t-il plus coopératif avec ses alliés, adepte du softpower, plus enclin à chercher le dialogue là où il a cessé, comme en Iran. "Mais son multilatéralisme n'ira pas très loin, prévient Hubert Védrine, l'ancien ministre des affaires étrangères du gouvernement Jospin. Jamais il ne fera dépendre la politique des Etats Unis d'une réunion à l'ONU." Entouré des équipes diplomatiques de Bill Clinton1 (1992-1996), Obama a inversé les rôles face à McCain. Il a paru mettre l'expérience de son côté. Et c'est son rival qui est devenu au fil des jours le candidat inquiétant, peu sûr de lui. Par son slogan "le changement crédible" ("change we can believe in"), le nouveau président a annoncé la couleur : il fera son possible, tout ce qui peut réussir pour réduire les injustices, éduquer, soigner, aider les gens à se loger, à trouver un emploi, dans une approche où l'Etat joue son rôle sans pour autant révoquer l'économie de marché.
Obama est un "possibiliste". S'il est juste de le comparer à John Kennedy, ("un réaliste brillamment déguisé en romantique"), il faut ajouter aussitôt qu'il est l'homme de son époque, le mieux en phase assurément pour plonger l'Amérique dans le bain multipolaire de ce XXIe siècle.
Sur chaque dossier ou presque, hormis l'idée directrice consistant à s'affranchir au plus vite de l'héritage Bush, Barack Obama s'en est tenu à de grandes orientations, comptant sur ses facultés de compréhension rapide pour prendre les décisions appropriées.
Porté au pouvoir sans doctrine véritablement établie, le voilà chargé du rêve américain, ouvert et souriant, préférant le calme au drame, la raison à l'excès. Il est l'homme qu'il faut. A lui d'inscrire ce moment dans la marche du temps.
Eric Fottorino

Evangelical foreign policy is over

By Andrew J. Bacevich
The Boston Global, November 6, 2008

WITH Barack Obama's election to the presidency, the evangelical moment in US foreign policy has come to an end. The United States remains a nation of believers, with Christianity the tradition to which most Americans adhere. Yet the religious sensibility informing American statecraft will no longer find expression in an urge to launch crusades against evil-doers.
Like our current president, Obama is a professed Christian. Yet whereas George W. Bush once identified Jesus Christ himself as his favorite philosopher, the president-elect is an admirer of Reinhold Niebuhr, the renowned Protestant theologian.
Faced with difficult problems, conservative evangelicals ask WWJD: What would Jesus do? We are now entering an era in which the occupant of the Oval Office will consider a different question: What would Reinhold do?
During the middle third of the last century, Niebuhr thought deeply about the complexities, moral and otherwise, of international politics. Although an eminently quotable writer, his insights do not easily reduce to a sound-bite or bumper sticker.
At the root of Niebuhr's thinking lies an appreciation of original sin, which he views as indelible and omnipresent. In a fallen world, power is necessary, otherwise we lie open to the assaults of the predatory. Yet since we too number among the fallen, our own professions of innocence and altruism are necessarily suspect. Power, wrote Niebuhr, "cannot be wielded without guilt, since it is never transcendent over interest." Therefore, any nation wielding great power but lacking self-awareness - never an American strong suit - poses an imminent risk not only to others but to itself.
Here lies the statesman's dilemma: You're damned if you do and damned if you don't. To refrain from resisting evil for fear of violating God's laws is irresponsible. Yet for the powerful to pretend to interpret God's will qualifies as presumptuous. To avert evil, action is imperative; so too is self-restraint. Even worthy causes pursued blindly yield morally problematic results.
Niebuhr specialized in precise distinctions. He supported US intervention in World War II - and condemned the bombing of Hiroshima and Nagasaki that ended that war. After 1945, Niebuhr believed it just and necessary to contain the Soviet Union. Yet he forcefully opposed US intervention in Vietnam.
The vast claims of Bush's second inaugural - with the president discerning history's "visible direction, set by liberty and the Author of Liberty" - would have appalled Niebuhr, precisely because Bush meant exactly what he said. In international politics, true believers are more dangerous than cynics.
Grandiose undertakings produce monstrous byproducts. In the eyes of critics, Abu Ghraib and Guantanamo show that all of Bush's freedom talk is simply a lie. Viewed from a Niebuhrean perspective, they become the predictable if illegitimate offspring of Bush's convictions. Better to forget utopia, leaving it to God to determine history's trajectory.
On the stump, Obama did not sound much like a follower of Niebuhr. Campaigns reward not introspection, but simplistic reassurance: "Yes, we can!" Yet as the dust now settles, we might hope that the victor will sober up and rediscover his Niebuhrean inclinations. Sobriety in this case begins with abrogating what Niebuhr called "our dreams of managing history," triggered by the end of the Cold War and reinforced by Sept. 11. "The course of history," he emphasized, "cannot be coerced."
We've tried having a born-again president intent on eliminating evil. It didn't work. May our next president acknowledge the possibility that, as Niebuhr put it, "the evils against which we contend are frequently the fruits of illusions which are similar to our own." Facing our present predicament requires that we shed illusions about America that would have offended Jesus himself.
Obama has written that he took from reading Niebuhr "the compelling idea that there's serious evil in the world" along with the conviction that evil's persistence should not be "an excuse for cynicism and inaction." Yet Niebuhr also taught him that "we should be humble and modest in our belief we can eliminate those things." As a point of departure for reformulating US foreign policy, we could do a lot worse.
Andrew J. Bacevich, a professor of history and international relations at Boston University, is the author of "The Limits of Power: The End of American Exceptionalism."
© Copyright 2008 Globe Newspaper Company.

mercredi 5 novembre 2008

Un rêve d'Amérique

Edito de Libé 5 nov. 2008

Enfin l’espoir ! De grâce, pour une heure, pour un jour, ne jouons pas les blasés, les prudents, les sceptiques.
Après ce 4 novembre déjà historique, avouons que nous sommes pris, presque tous, d’un sentiment de bonheur. Pour une heure ou pour un jour, laissons parler l’enthousiasme, celui qui déferle sur la planète. Depuis quelques heures, les Américains espèrent ; depuis quelques heures, le monde entier se sent mieux. Le bonheur ? Une idée neuve en Amérique. Il suffit d’imaginer un instant le résultat inverse : un sénateur raide et conservateur flanqué d’une mystique béotienne reconduisant pour quatre ans la politique brutale de George W. Bush. Un cauchemar moral, un film d’horreur politique. Au contraire, les symboles se bousculent dans l’imaginaire de ce jour d’exception. L’idéal d’Abraham Lincoln, le rêve de Martin Luther King, la Nouvelle Frontière de John et Robert Kennedy : quatre espoirs interrompus, quatre prophètes du réel immolés, qui revivent, l’espace d’un moment, par la grâce de ce scrutin. Ce sont les symboles d’une Amérique qui aime l’avenir. Les symboles de l’Amérique qu’on aime.
Il sera temps, demain, de mesurer les difficultés de la tâche, de dissiper les illusions, de disséquer les faiblesses du nouvel élu. On le pressent, il porte plus de promesses qu’il ne peut en satisfaire. Il prendra en charge les intérêts d’un Etat autant que les rêves de ses électeurs. Il devra composer avec les froides réalités de la géopolitique. Il n’est peut-être pas le héros du progressisme que fantasme la gauche française. Il est sans doute plus enclin au compromis et à la manœuvre que ne le pensent la plupart de ses partisans. Mais sa victoire montre que le monde peut changer et, pour une fois, changer en mieux.
Obama peut interrompre le cours de cette révolution conservatrice qui domine le monde depuis l’élection de Ronald Reagan. Enfin, les valeurs de solidarité, d’attention aux faibles, de justice seront représentées à la Maison Blanche. Enfin, on ne va pas essayer de nous faire croire que l’intérêt des milliardaires se confond avec celui du peuple. Enfin, les Américains peuvent espérer une meilleure protection sociale, un contrôle sur Wall Street, des crédits pour la santé, pour l’éducation, pour l’environnement. En un mot, ils peuvent espérer une société plus humaine, qui montre aux autres nations que la justice concrète n’est pas toujours un objectif utopique.
Ensuite parce le vainqueur du 4 novembre est un homme du siècle nouveau. Métis, ancien travailleur social, petit-fils d’une Africaine, Barack Hussein Obama a choisi d’être américain. Son histoire montre que l’identité n’est pas forcément un fait de nature qui enferme les hommes dans leur naissance mais aussi l’adhésion lucide à des principes démocratiques. Avec Obama, c’est un peu du Sud et de sa souffrance qui entre dans la capitale du Nord. Avec Obama, c’est beaucoup de notre monde mélangé qui accède à la plus haute fonction. Tout cela semble candide, virtuel, hypothétique ? Peut-être. Mais pour une heure, pour un jour, il faut essayer d’y croire. Essayer de croire que, pour la première fois, depuis longtemps, le Nouveau Monde peut mériter son nom.

Obamania


Pourquoi Obama

Edito du Monde

LE MONDE 03.11.08 13h40 • Mis à jour le 03.11.08 14h04
Le président que les Américains doivent élire mardi 4 novembre héritera d'un désastre. Huit ans d'administration Bush ont laissé le pays dans un piteux état. A l'extérieur, l'Amérique est plus mal aimée qu'elle ne l'a jamais été : empêtrée dans deux guerres, Irak et Afghanistan, dont on ne voit pas la fin, elle est en mal de crédit moral et politique. A l'intérieur, les Etats-Unis paient au prix fort les ravages d'un libéralisme financier qui a culminé avec la présidence de George W. Bush et se solde par une crise économique majeure. Et si l'Etat-providence a régressé, l'Etat surveillant a, lui, progressé : au nom de la lutte contre le terrorisme, les libertés publiques ont enregistré un recul sans précédent.
Il n'y a pas d'homme providentiel qui puisse réparer pareille situation en quatre ans. Mais, pour amorcer le redressement, le démocrate Barack Obama nous paraît beaucoup mieux placé que le républicain John McCain. Plusieurs raisons à cela. La première tient à l'humeur du pays : l'arrivée d'un Métis de 47 ans à la Maison Blanche serait un signe de confiance de l'Amérique en elle-même, en ses valeurs les plus hautes, en sa capacité à surmonter le drame majeur de son passé - le racisme et l'esclavage. Ce serait déjà beaucoup, et tiendrait lieu d'exemple bien au-delà des Etats-Unis.
Mais il y a plus. A l'intérieur, Barack Obama défend le programme le mieux adapté à la crise de l'économie américaine : renouveau du rôle régulateur de l'Etat ; politique fiscale de nature à combattre une société de plus en plus inégalitaire ; désir de doter les Américains d'une couverture médicale digne de la richesse du pays ; conscience environnementale, enfin, là où l'équipe Bush se refusait à toute remise en cause d'un modèle de consommation. A l'extérieur, un président démocrate ne fera pas de miracle. Mais un Barack Hussein Obama, par sa seule personnalité, serait beaucoup plus en phase avec un monde dont l'Occident n'est plus le centre économique et politique - un monde plus métissé.

En face, John McCain, homme d'expérience longtemps centriste, n'a cessé de se droitiser. Il a fini par défendre ce que le Parti républicain a de plus ultra. Il n'imagine de vaincre qu'en divisant les Américains. Il représente la continuité, quand M. Obama, moins expérimenté, incarne l'espoir.


Article paru dans l'édition du 04.11.08.

The Next President

Editorial

The New York Times : November 4, 2008
This is one of those moments in history when it is worth pausing to reflect on the basic facts:
An American with the name Barack Hussein Obama, the son of a white woman and a black man he barely knew, raised by his grandparents far outside the stream of American power and wealth, has been elected the 44th president of the United States.
Showing extraordinary focus and quiet certainty, Mr. Obama swept away one political presumption after another to defeat first Hillary Clinton, who wanted to be president so badly that she lost her bearings, and then John McCain, who forsook his principles for a campaign built on anger and fear.
His triumph was decisive and sweeping, because he saw what is wrong with this country: the utter failure of government to protect its citizens. He offered a government that does not try to solve every problem but will do those things beyond the power of individual citizens: to regulate the economy fairly, keep the air clean and the food safe, ensure that the sick have access to health care, and educate children to compete in a globalized world.
Mr. Obama spoke candidly of the failure of Republican economic policies that promised to lift all Americans but left so many millions far behind. He committed himself to ending a bloody and pointless war. He promised to restore Americans’ civil liberties and their tattered reputation around the world.
With a message of hope and competence, he drew in legions of voters who had been disengaged and voiceless. The scenes Tuesday night of young men and women, black and white, weeping and cheering in Chicago and New York and in Atlanta’s storied Ebenezer Baptist Church were powerful and deeply moving.
Mr. Obama inherits a terrible legacy. The nation is embroiled in two wars — one of necessity in Afghanistan and one of folly in Iraq. Mr. Obama’s challenge will be to manage an orderly withdrawal from Iraq without igniting new conflicts so the Pentagon can focus its resources on the real front in the war on terror, Afghanistan.
The campaign began with the war as its central focus. By Election Day, Americans were deeply anguished about their futures and the government’s failure to prevent an economic collapse fed by greed and an orgy of deregulation. Mr. Obama will have to move quickly to impose control, coherence, transparency and fairness on the Bush administration’s jumbled bailout plan.
His administration will also have to identify all of the ways that Americans’ basic rights and fundamental values have been violated and rein that dark work back in. Climate change is a global threat, and after years of denial and inaction, this country must take the lead on addressing it. The nation must develop new, cleaner energy technologies, to reduce greenhouse gases and its dependence on foreign oil.
Mr. Obama also will have to rally sensible people to come up with immigration reform consistent with the values of a nation built by immigrants and refugees.
There are many other urgent problems that must be addressed. Tens of millions of Americans lack health insurance, including some of the country’s most vulnerable citizens — children of the working poor. Other Americans can barely pay for their insurance or are in danger of losing it along with their jobs. They must be protected.
Mr. Obama will now need the support of all Americans. Mr. McCain made an elegant concession speech Tuesday night in which he called on his followers not just to honor the vote, but to stand behind Mr. Obama. After a nasty, dispiriting campaign, he seemed on that stage to be the senator we long respected for his service to this country and his willingness to compromise.
That is a start. The nation’s many challenges are beyond the reach of any one man, or any one political party.

samedi 1 novembre 2008

La firme américaine

Edito du Monde

LE MONDE 30.10.08

Oligarchie : régime politique dans lequel la souveraineté appartient à un petit groupe de personnes, à une classe restreinte et privilégiée. Le mot a été remis au goût du jour pour définir le capitalisme de Cosaques qui a fait main basse sur la Russie depuis quelques années. Mais, au fond, les amis de Vladimir Poutine ne se sont-ils pas directement inspirés du modèle américain ?
L'enquête que nous publions aujourd'hui sur Goldman Sachs (pages 18-19) invite à le penser. Elle met en effet en lumière les relations très étroites, presque incestueuses, qui unissent la banque la plus puissante du monde et le pouvoir politique de la première puissance mondiale.
Ainsi, le secrétaire au Trésor n'est autre que l'ancien patron de Goldman Sachs, Henry Paulson. Ses principaux collaborateurs sont, pour la plupart, issus de "GS", à commencer par Neel Kashkari, responsable du gigantesque plan de sauvetage des banques mis en place depuis un mois pour endiguer la crise financière. Et la liste est longue, depuis le président du conseil d'administration de la Fed, la banque centrale américaine, jusqu'à celui de la Banque mondiale.
Certes, ces relations consanguines entre Wall Street et Washington, entre la banque et les cercles du pouvoir, sont aussi anciennes que le capitalisme américain. Certes encore, si les anciens de Goldman Sachs sont si souvent choisis pour occuper des postes névralgiques, c'est tout simplement, plaident-ils, qu'ils sont les meilleurs, moines-soldats de la finance hier, du service public aujourd'hui.
Il n'empêche. Aux Etats-Unis même, et pas seulement chez les concurrents envieux, cette omniprésence des anciens de "GS" suscite l'inquiétude. A juste titre. Comment expliquer autrement que la banque, au cœur de la spéculation folle des dernières années, ait si aisément tiré son épingle du jeu dans la tourmente actuelle ? Comment écarter le soupçon de conflit d'intérêts, dès lors qu'elle est, plus que jamais, juge et partie ? Ajoutons qu'une éventuelle accession de Barack Obama à la Maison Blanche n'y changerait probablement pas grand-chose : les principaux noms cités pour succéder à M. Paulson au Trésor sont, on l'aura compris, ceux de banquiers de Goldman Sachs !

Article paru dans l'édition du 31.10.08.