jeudi 7 août 2008

Une vie d'infortune, un destin exceptionnel


LE MONDE 04.08.08 11h29
Par quel bout le prendre, cet homme apparemment tout d'une pièce ? Venu l'inéluctable moment de dresser un bilan de toute une vie qui a marqué son siècle, il faut commencer par se débarrasser des étiquettes. Vif et mort, Alexandre Issaïevitch Soljenitsyne ne rentre pas dans les bocaux convenables pour les gens du commun. Forçat quand germait son œuvre, rejeté par les siens quand les trompettes de la renommée annonçaient sa gloire au monde entier, il ne montra pas son chagrin et ne suscita point la pitié, peut-être parce que de sa destinée plutôt pitoyable il avait fait un exceptionnel destin.
C'est sous le signe de l'infortune qu'Alexandre Issaïevitch Soljenitsyne naît à Kislovodsk le 2 décembre 1918. Il est déjà dur pour tout un chacun d'arriver au monde dans un pays qui sort d'une guerre mondiale pour s'enfoncer dans la guerre civile et qui, à la suite d'un coup d'Etat baptisé "révolution" va subir la tyrannie. A ce malheur général, le bébé de Kislovodsk ajoute son propre lot : il ne connut jamais son père, étudiant en lettres engagé volontaire, mort six mois avant sa naissance, ne laissant pour tout héritage qu'une origine pas du tout prolétarienne.
Dans un entretien au New York Times en 1972, Soljenitsyne a parlé de son enfance à Rostov-sur-le-Don où sa mère s'était installée. "Elle m'a élevé, disait-il, dans des conditions incroyablement dures. Devenue veuve avant même ma naissance, elle ne s'est pas remariée surtout par crainte de me donner un beau-père qui aurait pu être trop sévère ! Nous avons vécu à Rostov avant la guerre pendant dix-neuf ans et pendant quinze de ces années nous n'avons pas pu obtenir un logement de l'Etat (…). Nous louions quelque chose dans des masures pourries à des particuliers, à grands frais. Et quand nous avons enfin reçu une pièce, c'était une partie d'une écurie aménagée. Il faisait toujours froid, il y avait des courants d'air, on se chauffait avec du charbon qu'il était difficile de se procurer, on portait l'eau de loin. Maman connaissait bien le français et l'anglais. Elle avait aussi appris la sténographie et la dactylographie, mais on ne la prenait jamais dans les établissements où l'on payait bien, à cause de son origine sociale… Cela l'obligeait à chercher un travail supplémentaire le soir et à accomplir les tâches domestiques la nuit sans jamais dormir suffisamment. A cause de nos conditions d'existence, elle prenait souvent froid, elle attrapa la tuberculose et mourut à l'âge de 49 ans."

RÉNOVER LE SOCIALISME
Soljenitsyne réussit néanmoins à faire de brillantes études. Diplômé en sciences et mathématiques, il suivit les cours par correspondance de l'Institut d'histoire, de philosophie et de littérature de Moscou. Il était déjà saisi par la passion de l'écriture. Jeune marié, il connut pendant quelques mois le bonheur paisible. Vint la guerre. Affecté au train des équipages puis officier d'artillerie, il entretenait une correspondance avec ses camarades d'étude. Il échafaudait des plans pour rénover le socialisme. Il affirma dans une de ses lettres que Staline était mauvais théoricien et piètre stratège. C'est ce qui le perdit. La censure veillait. Le capitaine Soljenitsyne fut arrêté sur le front en Prusse-Orientale en février 1945 et condamné à huit ans de prison. Dans son malheur, il eut quand même la chance d'être affecté à un institut de recherche dont tout le personnel était composé de prisonniers. Il fut ainsi sauvé par sa formation de mathématicien. Mais pendant sa longue détention, sa jeune épouse se vit obligée de demander le divorce. C'est aussi pendant cette période qu'il fut opéré d'un cancer.
Libéré le jour même de la mort de Staline (le 5 mars 1953) mais relégué en Asie centrale, il vit en solitaire dans la région de Djamboul. Cette fois encore, il subsiste grâce à sa formation de mathématicien : il donne des leçons. Et cette fois encore le cancer l'attaque. Enfin, en 1956, après le XXIIe congrès, il peut revenir en Russie et prend un poste de professeur à Riazan. C'est la seconde période paisible. Elle culmine en 1962 avec la publication dans la revue Novy mir du récit Une journée d'Ivan Denissovitch, un texte de soixante-sept pages qui rend définitivement célèbre l'inconnu de Riazan.
Khrouchtchev lui-même a dû donner le feu vert pour que ce texte inspiré par l'expérience des camps soit publié. Engagé dans une nouvelle campagne de déstalinisation, le premier secrétaire du PC soviétique pensait trouver des munitions avec cette œuvre. Il ne se doutait pas que l'auteur, d'une classe exceptionnelle, échappait à tout contrôle.
Le génie littéraire de Soljenitsyne est concentré dans cette œuvre si brève. Le héros, Ivan Denissovitch Choukhov est un paysan plutôt simplet. Par exemple, il croit que chaque mois Dieu émiette la lune pour remplacer les étoiles usagées. Il a été fait prisonnier par les Allemands, s'est évadé et, dès son retour au pays, a été condamné pour espionnage. La nouvelle raconte une des trois mille six cent cinquante-trois journées qu'Ivan Denissovitch a déjà passées au camp, et ce fut "une journée presque heureuse". C'est une œuvre hallucinante, composée avec une extrême sobriété. Une œuvre parfois difficile à lire : Soljenitsyne s'enfouit dans ses personnages et, pour suivre le récit, il faut savoir la langue des paysans et des bagnards.
Ce premier texte publié n'était pas un coup d'essai. Au camp, il avait composé et appris par cœur des poèmes. En relégation, il écrivait, il gardait dans ses tiroirs des versions non définitives d'un chef-d'œuvre de la littérature concentrationnaire, Le Premier Cercle. Il avait la charpente du Pavillon des cancéreux, des livres conformes à la conception que se faisait Soljenitsyne du roman et qu'il présentait ainsi, en 1966 : "La forme littéraire qui m'attire le plus est le roman polyphonique (œuvre sans héros principal, œuvre où le personnage le plus important est celui qu'a "surpris" le récit à tel chapitre donné) avec des coordonnées précises de temps et de lieu." Avant ces œuvres aussi importantes, il confia toujours à Novy Mir quelques nouvelles, notamment La Maison de Matriona. Alors, les fonctionnaires des lettres, qui n'avaient pas aimé la Journée d'Ivan Denissovitch, mais s'étaient tus pour ne pas s'opposer au premier secrétaire, se déchaînèrent. Cette fois, l'auteur n'attaquait pas les camps staliniens, mais racontait la vie misérable dans un village du temps présent. Et alors que Novy Mir inscrivait son nouveau collaborateur sur la liste des candidats au prix Lénine, les gens de l'autre bord, de plus en plus sûrs d'eux-mêmes après la chute de Khrouchtchev en octobre 1964, crièrent haro sur le bagnard réhabilité, mais antisoviétique.
Après quelques années de répit, Soljenitsyne rentrait dans la zone des tempêtes. Dans sa vie privée, les retrouvailles avec son épouse Natalia Rechetovskaia était difficiles. La femme avait quitté un jeune homme imberbe qui pratiquait le rituel communiste, déjà dominateur et économe à l'extrême de son temps. Elle découvrait un Soljenitsyne converti à la religion ou en voie de conversion, ayant déjà rompu tout lien avec le communisme, chantre de la Russie et bientôt barbu comme le furent les hommes du terroir. Plus que jamais dominateur et plus que jamais absorbé par son œuvre à construire. Natalia Rechetovskaia a raconté sa Vie avec Soljenitsyne dans un livre qu'on ouvrait avec quelque répugnance dans la crainte d'un sordide règlement de comptes. C'est en réalité le témoignage, partial et douloureux, d'une jeune femme faite pour aimer mais non pour admirer.
Dès ce moment, l'écrivain va, pour la défense de son œuvre, mener un combat de plus en plus acharné. Avec des textes flamboyants comme sa lettre aux dirigeants de l'Union des écrivains soviétiques, lorsqu'il fut exclu de cette association, ou encore la lettre aux dirigeants de l'Union soviétique. Avec les messages adressés à des personnalités, les discours préparés et non prononcés, les interviews dans des publications occidentales – par exemple au Monde le 23 août 1973 – les faiseurs d'anthologies ont un riche matériel. Ils y ajouteront un passionnant récit autobiographique, Le Chêne et le veau.
Pour le monde entier, il est incontestablement le premier des écrivains russes contemporains lorsque, en octobre 1970, le prix Nobel de littérature lui est attribué. En URSS, les attaques contre lui redoublent. Craignant de ne pouvoir revenir chez lui, Soljenitsyne renonce à aller à Stockholm pour la cérémonie de remise du prix. En même temps, il achève ou entreprend deux grands ensembles. D'abord L'Archipel du Goulag, "essai d'investigation littéraire" en trois volumes sur les camps soviétiques. Le sujet n'était certes pas tout à fait inédit. Pourquoi la publication de l'ouvrage de Soljenitsyne a-t-elle changé notre perception du phénomène ? C'est le résultat mystérieux de cette faculté, elle aussi mystérieuse, appelée génie. Ce formidable façonneur du verbe a imposé avec son Archipel un mot qui vient du langage administratif le plus triste qui soit. "Goulag", c'est un assemblage d'initiales qui désigne l'administration soviétique chargée des camps de travail. Avant 1974, date de publication à l'étranger de ce livre, certains voyaient toujours l'URSS avec les yeux amourachés du jouvenceau qui imagine sa belle après la puberté. Désormais, l'archipel du goulag est devenu pour tout le monde l'harmonique du système soviétique.
Ne pas gâcher son russe Brejnev et les siens ne pouvaient plus supporter un rebelle qui les narguait avec un tel aplomb et derrière qui pouvait se rassembler l'intelligentsia. Et puis, l'écrivain préparait d'autres livres au moins aussi intolérables que les premiers pour le système : dans une fresque gigantesque il commençait à raconter la Russie de 1914 à 1917. Le KGB saisit des manuscrits de Soljenitsyne et en fit circuler à l'étranger des copies qui furent publiées sans le consentement et même contre la volonté de l'auteur. Les pages jugées les plus scandaleuses, telles celles qui expliquent la trahison du général Vlassov pendant la seconde guerre mondiale, furent portées – séparées du contexte – à la connaissance des "masses soviétiques" priées de s'indigner. Quand la cuisson fut bien à point, la police arrêta l'écrivain mais, comme elle ne pouvait plus garder enfermé un homme d'une telle notoriété internationale, elle l'expédia en exil. C'était en février 1974.
Soljenitsyne remarié, père de famille, s'installa dans le Vermont, aux Etats-Unis, tout occupé à sa grande œuvre. Il refusa de perfectionner son anglais pour ne pas gâcher son russe. De temps à autre, il distrayait une parcelle de son temps pour des interview généralement tonitruante et pas toujours équitable. Il eut ainsi des mots très durs pour Siniavski, un autre écrivain rebelle qui ne partageait pas ses conceptions, et Sakharov lui-même n'échappa pas à ses remontrances.
Il y a chez le Soljenitsyne de la maturité un côté traditionnaliste, voire réactionnaire, russophile, voire nationaliste, intransigeant lorsqu'il croyait que la vérité était bafouée. Mais ce même homme qui dédaignait les valeurs occidentales anéantissait en quelques formules incendiaires les pense-petit, les tenants du totalitarisme… L'artiste isolé conçut la folle idée de ressaisir son pays chamboulé par un demi-siècle de léninisme, broyé par trente ans de stalinisme, anéanti par cette stagnation brejnévienne qui n'avait même plus d'âge. Il lui suffisait d'un porte-plume pour remettre ce pays debout dans son Histoire. Un jour, un rescapé du régime tsariste lui confia qu'il détenait des archives intéressantes et qu'il les conservait "pour la Russie". "Rossia éto ia…" ("La Russie c'est moi"), répondit tout simplement Soljenitsyne. Ce n'était pas une boutade. Ce romancier devança les historiens. Cet historien battit sur leur terrain les politiques. Ce politique sans troupes fut un prophète parce qu'il révéla l'inconscient des hommes sans voix.

Bernard Féron

Alexandre Soljenitsyne, écrivain et héros de la dissidence russe


LE MONDE 04.08.08 11h23
AFP/-L'écrivain russe Alexandre Soljenitsyne,
en visite à Paris en avril 1975 pour présenter la traduction française de son livre
"Le Chêne et le veau"





Alexandre Soljenitsyne, mort dimanche 3 août d'une crise cardiaque à son domicile moscovite, est une de ces grandes voix où il est vain de distinguer la part de l'art et celle du combat. Comme Tolstoï en Russie, comme Voltaire ou Hugo en France il appartient aux lutteurs, aux "dissidents", incarnant le refus de la société injuste dans laquelle ils vivaient, une résistance au nom de quelque chose d'imprescriptible. Tolstoï refusait la société d'Ancien Régime, fondée sur l'inégalité et voyait dans le moujik méprisé l'incarnation d'une vie accordée à Dieu. Soljenitsyne incarna le refus du communisme, athée et totalitaire. Tolstoï dans Qu'est-ce que l'art ? subordonnait l'art à l'action, Soljenitsyne, dans son discours du Nobel, subordonne l'art à la triade platonicienne du Vrai, du Bon et du Beau. Ni l'un ni l'autre ne comprennent "l'art pour l'art" : "J'avais affronté leur idéologie, mais en marchant contre eux, c'était ma propre tête que je portais sous le bras", écrit Soljenitsyne dans Le Chêne et le Veau, en 1967.


Comparer Tolstoï et Soljenitsyne donne la mesure de la distance entre les deux siècles qu'ils marquèrent : Tolstoï dissident continue d'habiter sa gentilhommière, il publie en Russie la version expurgée de Résurrection, et à Londres la version non censurée. Soljenitsyne écrit L'Archipel du goulag dans une cahute au fond de la forêt, planque le manuscrit en différentes cachettes ; fait publier le livre à Paris sans jamais avoir vu le texte intégral… D'ailleurs, si l'épopée historique de Soljenitsyne, La Roue rouge (1971-1991), fait penser à Guerre et Paix, on y remarque avant tout la polémique avec Tolstoï. Celui-ci apparaît dans le premier "nœud", comme un sage vieillard auquel le jeune héros encore lycéen, Sania Lajenitsyne, qui est un peu le père de l'écrivain, rend visite à Yasnaïa Poliana pour lui poser la question "Pourquoi vivons-nous ?" La réponse est : "Pour aimer !" "Oui, mais il n'y a pas que de la bienveillance sur terre", rétorque le lycéen. "Le vieillard eut un profond soupir. C'est parce que les explications qu'on donne sont mauvaises, impénétrables, maladroites. Il faut expliquer avec patience. Et on sera compris. Tous les hommes naissent doués de raison" (août 1914).
A ce rousseauisme foncier de Tolstoï, le roman de Soljenitsyne répond que l'homme se choisit librement bon ou mauvais. Ce que dit à sa façon un des proverbes qui ponctuent La Roue rouge comme les strophes du chœur dans la tragédie grecque : "Le mot de l'énigme est bref, mais il contient sept verstes de vérité." Soljenitsyne croit à l'action individuelle, même contre le monstre totalitaire. Il croit à la volonté de l'homme, à son choix personnel entre le bien et le mal, à ce qu'il appelle "l'ordre intérieur". L'axiologie domine toute son œuvre, et elle commande au style, au genre, à la tactique. Tolstoï voulait un christianisme rationnel, un personnage de Soljenitsyne, l'Astrologue, (comme le Védéniapine du Docteur Jivago inspiré par le philosophe Fiodorov), démontre aux jeunes gens venus le consulter que le christianisme est absolument déraisonnable, parce qu'il place la justice au-dessus de tout calcul terrestre.
Au cœur de cette œuvre, une mission : "Je n'ai pas accès aux bibliothèques publiques, dit Gleb Nerjine, les archives me seront sans doute fermées jusqu'à ma mort. Mais je trouverai bien dans la taïga une écorce de pin ou de bouleau. Mon privilège, nul espion ne me l'ôtera : le cataclysme que j'ai éprouvé dans ma personne, et vu chez les autres, peut me souffler pas mal de trouvailles sur l'histoire." Les chartes sur écorce de bouleau des fouilles de Novgorod permettent de reconstituer l'histoire quotidienne d'avant les Mongols. Au "pays du mensonge triomphant" dont parle Ante Ciliga, Soljenitsyne ambitionne, dans la clandestinité, de reconstituer sur ses fiches l'histoire vraie de l'esclavagisme soviétique.
Son œuvre se divise en deux grandes cathédrales d'écriture. La première, ce sont les écrits du goulag, centrés sur la condition humaine dans la "petite zone" du camp ou dans la "grande zone" de la société totalitaire. La seconde est centrée sur l'histoire de la Russie d'avant le désastre, d'avant 1917, et elle forme un ensemble de plus de 6 600 pages, intitulé La Roue rouge et sous-titré "Récit en segments de durée". Pratiquement tous les écrits de Soljenitsyne s'inscrivent soit dans l'une, soit dans l'autre de ces massifs. Une autre particularité de l'œuvre est la structure très ramassée dans le temps, l'économie spartiate des ornements, la réduction de l'action à des instants décisifs, que le physicien Soljenitsyne baptise "nœuds". Pas de mûrissement dans la durée, pas de lente "éducation sentimentale", pas de "temps retrouvé" mais des destins happés à l'instant où l'homme révèle son essence dans un tout ou rien qui fait penser à la philosophie existentialiste de Sartre. Au demeurant le "chronotope" favori de Soljenitsyne ressemble à un "Huis clos" : cellule de prison ou chambrée d'hôpital.
Mais au-delà de l'espace carcéral, il y a chez Soljenitsyne le cosmos, l'échappée vers la création infinie de Dieu. Et la seule comparaison qui rende vraiment compte de cette poétique de l'enfermement et de l'échappée, c'est La Vie de l'archiprêtre Avvakoum, le grand résistant religieux du XVIIe siècle, brûlé vif à Poustozersk après avoir été confiné dans une fosse de glace. Le dialogue de Soljenitsyne avec le Créateur, dans Le Chêne et le Veau, fait souvent penser à la Vie d'Avvakoum.
L'autarcie morale est une règle que Soljenitsyne a empruntée aux stoïciens, méditée au camp. Les règles qu'observe Ivan Denissovitch sont la traduction en langage bagnard de la philosophie de Marc-Aurèle : sois toi-même, ne dépends pas des autres. "Le vrai goût de la vie, on ne le trouve pas dans les grandes choses, mais dans les petites" (La Main droite). Dans L'Archipel est célébrée la prison, un lieu de redécouverte du cosmos par le reclus.


On découvrit qu'un nouvel écrivain était né en décembre 1962 lorsque parut le n° 11 de la revue Novy Mir. Une journée d'Ivan Denissovitch fit le tour du monde en quelques semaines. C'était la levée d'un tabou, c'était un récit qui mariait le jargon des "zeks" avec les trois unités du classicisme. "Ivan Denissovitch, vous voyez bien que votre âme demande à prier Dieu. Pourquoi vous ne lui permettez pas de le faire?, dit à Ivan Aliocha, son voisin de châlit. En liberté, les ronces achèveraient d'étouffer le peu de foi qu'il vous reste. Réjouissez-vous d'être en prison." Extraordinaire est le défilé d'humanité que l'on trouve dans ce récit sur une journée ordinaire au bagne : exploiteurs, privilégiés, désespérés, filous et naïfs…


Il s'agit d'une poétique de la prison, que nous retrouvons dans Le Premier Cercle, dont le titre se réfère à La Divine Comédie, de Dante. Les sages ici sont des savants-captifs que le pouvoir a envoyés dans une prison-laboratoire afin de les faire travailler à des machines secrètes telles qu'un déchiffreur de la voix humaine (qui démasquera les traîtres). Ce sont des "privilégiés", mais leur labeur asservira les autres. Ont-ils le droit de monnayer leur âme au tyran ? Leurs débats portent sur le tyrannicide, mais le concierge aveugle Spiridon, qui représente la sagesse populaire, sans avoir lu Thomas d'Aquin, détient la réponse : "Le chien-loup a raison, le cannibale pas !"



LA MINIATURE ET LES FORMES BRÈVES


La simple héroïne Matriona, Stiopa dans Le Pavillon des cancéreux, le simple soldat Blagodariov dans La Roue rouge détiennent le même secret. Là est le moteur de l'ironie soljenitsynienne : le sage cherche, mais l'humble a déjà trouvé… "Nous tous qui vivions à côté d'elle n'avions pas compris qu'elle était ce juste dont parle le proverbe et sans lequel il n'est village qui tienne. Ni ville. Ni notre terre entière" (La Ferme de Matriona). Le Premier Cercle a connu plusieurs versions ; Soljenitsyne a d'abord "émoussé" son texte, pour lui laisser une chance d'être publié en URSS, puis il l'a "aiguisé", par exemple avec le thème des "nouveaux décembristes" : les décembristes étaient les conjurés de 1825 qui finirent pendus ou déportés. Soljenitsyne avait déjà intitulé ainsi une de ses pièces (il a commencé au camp par composer un poème et une pièce en vers).
Le héros du Pavillon des cancéreux, Oleg, est un "zek" typique, méfiant et cabochard, et le voici confronté au monde libre, représenté par un échantillonnage de huit autres malades de son pavillon, tous frappés par le cancer. Soljenitsyne prolonge le Tolstoï de La Mort d'Ivan Ilitch, et le Tchekhov d'Une morne histoire. L'apparatchik Roussanov, confronté à la mort, voudrait encore bénéficier de ses privilèges, mais, dans un saisissant cauchemar, il revoit une de ses victimes qui s'est noyée. Un simple camionneur qui a sillonné tout le pays, une femme de charge allemande déportée, des femmes médecins harassées, un ancien académicien devenu garçon de bibliothèque pour sauver sa peau, un Ouzbek muet dans sa douleur, c'est toute la société soviétique qui est là.
Soljenitsyne aime la miniature, et les formes brèves. Les Miettes en prose encadrent chronologiquement son œuvre. Contemplant un vieux seau, il sent affluer le souvenir de la guerre. Arpentant le village natal de son poète préféré, Serge Essénine, il s'écrie : "Quel alliage de talent le Créateur a-t-il jeté ici, dans cette isba, dans ce cœur de jeune paysan bagarreur! Mais en vain, car cette beauté russe, depuis mille ans, on la foule aux pieds et on l'ignore…" Mais le destin a contraint l'écrivain à élaborer des fresques gigantesques.
Une image organise secrètement son "encyclopédie de l'esclavage soviétique" : l'archipel grec fut le berceau de notre civilisation, l'archipel des camps est notre nouvelle civilisation. Soljenitsyne établit la chronique des camps, avec leurs révoltes de 1953-1954, avec leurs guerres entre droits communs ralliés au pouvoir et les autres. Il est l'ethnologue de la tribu nouvelle des "zeks" et l'hagiographe des nouveaux martyrs. L'Archipel est aussi une confession personnelle de sa propre expérience, une prière, une déploration. Et aussi une confrontation avec un autre "poète" du goulag, Varlaam Chalamov. Soljenitsyne veut montrer la "sainteté" derrière les barbelés. Monument de la littérature du XXe siècle, L'Archipel du goulag est une dénonciation de la fabrique d'inhumain.
La deuxième fresque est étroitement reliée à la première. Gleb Nerjine, le héros du Premier cercle, a entendu dès 1931, lors des premiers procès staliniens du "Parti industriel", le "tocsin" de l'histoire. Un tocsin qui retentit au long de La Roue rouge. Les dix jours de l'encerclement et de l'écrasement de l'armée du général Samsonov, l'assassinat du premier ministre Stolypine, à Kiev, en 1911, un gigantesque flash-back, alternance de scènes civiles, une Russie méridionale, active et prospère, qui correspond à la famille maternelle de Soljenitsyne, les Tomchak, tornades de fausse rhétorique à la Douma : La Roue rouge étreint une masse de faits, rapportés parfois minute par minute.
L'ouvrage pèche par un certain didactisme, la poésie de l'auteur est à son sommet dans les grandes scènes guerrières, dans l'attente du combat, les effets de stéréoscopie sont ici extraordinairement amplifiés. Deux symboles structurent le tout, celui de l'aire à battre le blé et celui de l'arène du cirque où l'acrobate monte au poteau central sous les projecteurs. Le premier, venu de l'Évangile, représente la Russie paysanne passant par le supplice du tri des âmes, le second représente la Russie révolutionnaire, opérant ses acrobaties effarantes sous l'œil du monde.




LE HARNAIS DE L'HISTORIEN ET LES FLÈCHES DU PUBLICISTE



Peut-on extraire de cette immense fresque un message central? Les héros sont entravés par leur vie privée, le mensonge, l'hystérie collective. Si message il y a c'est que la justice au sens aristotélicien du mot est perdue, les quatre vertus cardinales du Moyen Age sont perdues, la vie bonne est perdue. "La Russie avait l'air tellement harmonieuse, et unie. Mais voici que des parties autonomes se sont mises en mouvement. Et tout à coup il y a du nouveau au-dessus de la terre russe : l'esprit de vilenie, on respire mal; et les gens n'avancent plus qu'en regardant derrière eux." Les héros se consument intérieurement, tout s'effondre sous les pas, "la vie était en suspens quelque part, à l'écart de lui comme d'elle, dans un état où il était impossible de distinguer le commencement et la fin, les causes et les conséquences".




Ce grand livre poétique et didactique à la fois, lui aussi, reste en suspens. Si le regard d'auteur reste étonnamment précis, le grossissement est tel que l'échelle des choses se perd. Ce n'est pas l'échec d'un livre, mais plutôt l'égarement d'un explorateur qui croyait tenir le cap et qui, dans un immense afflux de documents, d'images, de visages, a vu l'étoile nochère s'éloigner. Génial échec littéraire, en somme.
L'œuvre de polémiste, d'abord le long duel avec le pouvoir soviétique, marqué par la proclamation "Vivre hors du mensonge !" puis l'exil, avec le Discours de Harvard, une mise en garde adressée aux Américains, et qui les irrite, et en 1990, un programme d'action : "Comment réaménager notre Russie ?", enfin les encycliques émises après le retour en Russie, vitupérant la fausse démocratie, prônant une nouvelle Russie des zemstvos, comme du temps de Tchekhov… Soljenitsyne reprend en 2001 le harnais de l'historien et les flèches du publiciste : il livre sa nouvelle enquête sur Deux siècles ensemble, une histoire de la cohabitation des juifs et des Russes. Il ne pouvait trouver meilleur bâton pour se faire battre, et se fit battre.
"J'aurais aimé éprouver mes forces à un sujet moins épineux, mais je considère que cette histoire – à tout le moins l'effort pour y pénétrer – ne doit rester une zone interdite." Fourmillant de faits (tous de seconde main, surtout empruntés à l'Encyclopédie juive Brockhaus Efron de 1913), le livre n'est pas un travail d'histoire, plutôt une grande esquisse inspirée par l'idée que les deux peuples, en dépit d'une rancune mutuelle (Soljenitsyne voit surtout la juive !), ont connu deux siècles de liens étroits, auxquels le nouvel exode juif a mis fin.
Ame juive et âme russe devaient se rencontrer, "il y avait là quelque chose de providentiel." Didactique et prophétique, portée vers les formes courtes du poème en prose, mais emportée vers les formes les plus longues qui soient, l'œuvre de Soljenitsyne reste paradoxale et évidente. Durant ses quinze dernières années, il a connu le sort d'un "classique vivant", mais la fougue juvénile ne le quittait pas, non plus que l'ambition de corriger la société.
Le vieux, l'infatigable lutteur lançait avec Deux siècles ensemble son dernier défi à la "tribu instruite" de la fausse intelligentsia qu'il brocardait depuis longtemps. Une fois de plus il tentait d'embrasser le réel, de le pétrir, de l'interpréter. Une fois de plus les esthètes ont fait la fine bouche, mais cet entêtement de lutteur fait de lui la plus grande voix du XXe siècle russe et européen, que l'on ajoute "hélas" ou pas.





Georges Nivat est historien de la littérature russe et traducteur de Soljenitsyne.









11 décembre 1918. Naissance à Kislovodsk, dans le Caucase.
9 février 1945. Mobilisé depuis 1941, il est arrêté pour avoir critiqué Staline et est envoyé au goulag.


5 mars 1953. Libéré le jour de la mort de Staline et relégué en Asie centrale jusqu'en 1956. Réhabilité, il s'installe à Riazan, à 200 kilomètres de Moscou.
1962. Publication dans la revue Novy Mir d'Une journée d'Ivan Denissovitch. Est admis à l'Union des écrivains.
1967. Le Pavillon des cancéreux interdit de publication.
1970. Prix Nobel de littérature.
1972. Parution à Paris d'Août 14 et l'année suivante de L'Archipel du goulag, en russe.
1974. Arrêté par le KGB, il est proscrit. S'installe en Suisse, puis aux Etats-Unis, à partir de 1976. Ecrit la fin de L'Archipel du goulag, commence La Roue rouge.
1989. L'Archipel du goulag commence à paraître dans Novy Mir.


1990. Retrouve la nationalité soviétique. Publie Comment devons-nous réaménager notre Russie ?
1994. Retour en Russie en mai.
2001. Premier volume de Deux cents ans ensemble. 1795-1995 qui suscite une polémique sur l'antisémitisme.
2007. Prix d'Etat.
2008. Aime la Révolution !

Une oeuvre au parcours mouvementé


LE MONDE 06.08.08 16h18
Rarement une oeuvre aura connu un destin aussi agité, du vivant de son auteur. Totalement inconnu du grand public, ignoré jusqu'alors des lettres littéraires soviétiques, Alexandre Soljenitsyne a acquis une réputation mondiale soudaine avec la publication d'Une journée d'Ivan Denisovitch, en novembre 1962, dans la revue Novy Mir, à l'initiative d'Alexandre Tvardovski, son rédacteur en chef. Une déflagration. "Pour la première fois, un auteur soviétique décrit la vie quotidienne dans un camp de concentration stalinien", écrivait à l'époque Michel Tatu, dans Le Monde. En France, ce sont les éditions Julliard qui en firent aussitôt l'acquisition auprès de l'Agence littéraire et artistique parisienne, représentant les droits exclusifs des écrivains soviétiques. Christian Bourgois, alors jeune directeur littéraire de la maison, avait été alerté par le traducteur Jean Cathala de l'importance de ce texte. De même, c'est Julliard qui publia en 1968 Le Pavillon des cancéreux.
Mais la dégradation progressive des relations du romancier russe avec les autorités soviétiques conduisit dans le même temps à la diffusion de copies pirates de ses différents titres. Pour Le Pavillon des cancéreux, deux éditeurs étrangers, le Londonien Bodley Head et le Milanais Mondadori, se disputaient le copyright, ce qui provoqua une réaction indignée de l'auteur, "ne reconnaissant les droits à personne" et rappelant qu' "au-delà de l'argent, il y a la littérature". Aux Etats-Unis, c'est avec la journaliste américaine d'origine russe Olga Carlisle, devenue son agent littéraire, que Soljenitsyne eut maille à partir. "Elle n'a pas cessé de jouer un rôle néfaste dans l'histoire de mes oeuvres", a-t-il écrit, tandis que l'ex-agente dans son livre Soljenitsyne et le cercle secret, paru en 1978 aux Etats-Unis, raconte comment elle aida l'écrivain à publier - depuis l'URSS - Le Premier cercle et L'Archipel du goulag.
LA VALEUR DES TRADUCTIONS
Ces déboires conduisirent Soljenitsyne à se choisir, dès mars 1970, un avocat suisse, Me Fritz Heeb, comme nouvel agent littéraire pour défendre ses intérêts à l'étranger. Ancien député social-démocrate de Zurich, familier des milieux marxistes libéraux, l'avocat avait reçu un mandat de l'écrivain pour interdire à l'avenir toute publication non autorisée de son oeuvre, examiner avec l'aide d'experts la valeur des traductions en cours et interdire toute adaptation à l'écran. Dans sa mission, il était secondé par YMCA Press, maison d'édition russe, créée en 1921 et installée à Paris. C'est dans cette maison dirigée par Nikita Struve que fut publié en exclusivité mondiale, en russe, le 28 décembre 1973, le premier tome de L'Archipel du goulag. Cet "essai d'enquête littéraire", comme le qualifiait son auteur, récent prix Nobel de littérature, a aussitôt été mis en traduction chez les plus grands éditeurs de la planète - en France au Seuil, en avril 1974.
En décembre de la même année, Paul Flamand, PDG du Seuil, accompagné de Claude Durand, éditeur de Soljenitsyne dans cette même maison, se rendit à Zurich, où l'écrivain, qui venait d'être expulsé de Russie, résidait. Ce dernier confia aux éditions du Seuil la gestion mondiale de ses droits. Après juin 1978 - date à laquelle Claude Durand quitte le Seuil pour Grasset -, ces droits ont continué à être gérés par Claude Durand dans le cadre des éditions russes YMCA Press.
Devenu PDG de Fayard en 1980, Claude Durand a récupéré tous les contrats du prix Nobel 1970 après la chute du mur de Berlin. Aujourd'hui, "Fayard est agent de l'auteur, sous ma responsabilité", précise l'éditeur, qui, en mars 2007, avait annoncé non sans fierté avoir regroupé chez Fayard "99 % de l'oeuvre de Soljenitsyne traduite en langue française". Apprenant, lundi 4 août, la mort de l'écrivain, Claude Durand a fait diffuser un communiqué exprimant son refus de commenter "la mort d'un ami proche" : "Depuis près de quarante ans (...) il était devenu comme un parent, écrit-il. Le coeur est la tombe des amis morts ; l'accès n'en est pas public."
A voir : Dialogues avec Soljenitsyne, d'Alexander Sokourov, 1 DVD Ideale Audience/Medici Arts.
Alain Beuve-Méry
Article paru dans l'édition du 07.08.08.

La vieille intelligentsia moscovite a défilé devant Soljenitsyne

LE MONDE 06.08.08 16h18
MOSCOU CORRESPONDANCE
REUTERS/© Sergei Karpukhin / Reuters
Le petit fils de l'écrivain rend un dernier hommage, le 5 août 2008.




C'est sous une pluie battante et par une journée automnale que le corps d'Alexandre Soljenitsyne, qui a été enterré mercredi 6 août au monastère Donskoï de Moscou, a été exposé mardi 5 au public dans le salon d'honneur de l'Académie des sciences de Russie. Devant le bâtiment de style soviétique, immense et froid, les piétons se rassemblent près du cordon encerclant l'édifice en prévision d'une foule qui ne s'est finalement pas manifestée. Des policiers, assez nombreux, assurent une présence depuis le grand boulevard Leninski.
Au salon d'honneur où est exposé l'écrivain mort dimanche 3 août, la foule clairsemée est composée d'une écrasante majorité de retraités, pour la plupart issus de la vieille intelligentsia moscovite. "C'était l'un des derniers grands hommes de ce pays, pour qui il a donné toute sa vie. Ils sont désormais presque tous disparus", dit Ella Iabyla, ingénieur à la retraite, venue rendre hommage à son "écrivain préféré", dont elle n'a pu lire L'Archipel du goulag "que durant la perestroïka".
Auprès du cercueil ouvert de Soljenitsyne, les gens défilent, un à un, exécutant une rapide prière ou effleurant le catafalque de l'écrivain, tandis que des militaires en uniforme de cérémonie veillent le corps au garde-à-vous. A droite, la veuve de Soljenitsyne, Natalia, et ses enfants sont debout, saluant d'un geste de la tête la petite foule d'anonymes qui passent à quelques mètres d'eux. La calme procession sera interrompue quelques minutes lorsque le premier ministre Vladimir Poutine viendra déposer une gerbe de fleurs devant le disparu, avant de se signer rapidement et d'embrasser Natalia Soljenitsyna.
Dans la foule se glissaient quelques jeunes, venus rendre hommage à l'ancien dissident, comme Olga Ovdeeva, une étudiante de 19 ans. "Parmi mes amis, tous savent qui est Soljenitsyne bien sûr, mais très peu l'ont lu. Peut-être parce que nous vivons à une époque plus facile, on ne veut pas ressasser le passé et on préfère lire Beigbeder (traduit en russe et très populaire auprès des jeunes). C'est dommage..."
Le temps où Soljenistyne, revenant d'exil en traversant le pays en train de Vladivostok à Moscou était accueilli par une foule en liesse est révolu. La Russie lui reconnaît toujours une stature d'autorité morale, mais le repli spirituel et religieux de Soljenitsyne l'aura graduellement isolé d'une société russe en pleine "décadence morale", selon l'expression de l'écrivain. Au point de reprocher parfois à la Russie de l'avoir enterré trop tôt.

RUSSIE CONQUÉRANTE
L'ancien dissident s'était un temps rapproché de Vladimir Poutine, qui avait "entamé la reconstruction de la Russie, (...) des efforts qui n'ont pas été remarqués et appréciés tout de suite". L'ancien président russe avait décoré Soljenistyne en 2007 du Prix d'Etat, la plus importante décoration nationale du pays. Fidèle à l'idée d'une Russie conquérante et orthodoxe, Soljenitsyne avait aussi défendu publiquement la seconde guerre de Tchétchénie, condamné les frappes aériennes de l'OTAN contre la Serbie ("Il n'y a aucune différence morale entre les actes d'Hitler et les bombardements de l'OTAN", avait-il dit) et la révolution orange en Ukraine. L'un de ses derniers ouvrages, Deux siècles ensemble, paru en 2003 et portant sur la question juive en Russie, aura suscité la controverse, considéré par certains comme antisémite.
Mais les fidèles qui se sont recueillis sur son catafalque sont surtout venus rendre hommage au lointain passé : au dissident, et à l'écrivain qui maniait la langue russe "de manière exceptionnelle, une langue d'une richesse extrême", dit, admirative, une Moscovite venue lui rendre hommage.

Alexandre Billette

Article paru dans l'édition du 07.08.08.