jeudi 8 mai 2008

Les tables historiques font toujours recette

Enquête


D.R.
A Paris, le restaurant le Procope - avec l'Escargot -
est quasiment le seul à avoir traversé les siècles.


Les grandes adresses du moment résistent rarement plus d'une ou deux générations aux assauts du temps. La plupart ne demeurent, que par les gravures, le témoignage des oeuvres littéraires et des gloires qui les ont fréquentés. Combien de maisons perdues corps et biens pour un phénix comme Le Procope, archétype du café parisien, qui, maintes fois, a su renaître de ses cendres.

C'est un Sicilien, Francesco Procopio Dei Coltelli (naturalisé, il se fera appeler : François Procope Couteau) qui ouvrit en 1686, rue de l'Ancienne-Comédie, le premier café glacier, dans lequel, bientôt, l'on servit aussi du vin. Le modèle du café parisien était né dans une ville qui en comptera, près d'un siècle plus tard, plus de six cents. Le Procope fut vite à la mode, et lorsque les comédiens-français s'installèrent en face, il devint le foyer du théâtre et le rendez-vous du Paris littéraire.

Au XVIIIe siècle, Voltaire, Diderot et Rousseau succèdent à Molière et à Racine ; la période révolutionnaire voit de nouvelles têtes : Marat, Danton, Robespierre, Desmoulins puis, au XIXe siècle, Hugo, Musset et Balzac. Le Procope ferme ses portes en 1900, les rouvre par épisodes, jusqu'à sa transformation radicale en restaurant par les Frères Blanc, en 1987. Longtemps, Le Procope s'est efforcé de satisfaire a minima une clientèle internationale avide de souvenirs historiques. La nouvelle direction, depuis 2005, s'emploie à reconquérir les Parisiens. "Ce n'est pas simple, admet le directeur Gilles Breuil, car il faut concilier l'affluence d'une clientèle touristique saisonnière et une sociabilité que l'on se doit de recréer."

Les nombreux salons, sur deux étages, facilitent le cantonnement des uns et des autres. Et s'il est d'usage, en ces lieux, d'évoquer les grands ancêtres dans un décor "entièrement d'époque", au sens ou l'entendait Jacques Dufilho, la cuisine du chef Thierry Colas se veut une adaptation fidèle de la cuisine bourgeoise d'antan. Le traditionnel coq au vin "ivre de juliénas", mariné, mijote doucement chaque matin ; la sauce, lisse et brillante, est parfaitement liée. C'est la vedette de la carte, suivie de la tête de veau, du merlan Colbert, de la joue de boeuf braisée aux carottes à la coriandre, tandis que les plats du jour s'attachent aux saveurs d'aujourd'hui.

On a compris ici que ce qui a fait le succès de la cuisine classique, c'est une culture du goût intégrée et transmise se jouant des nouveautés. Pourquoi ne pas remettre au goût du jour la fameuse recette de tête de veau sauce tortue, délicieusement "rétro", qui a disparu des tables parisiennes depuis une vingtaine d'années ? Pas de tortue dans la sauce tortue, mais les herbes de jardin favorites du chélonien (ciboulette, persil, estragon, etc.).

Chaque troisième mercredi du mois, à compter du 21 mai, puis à nouveau de septembre à décembre, cette recette sera réalisée selon les principes d'Ali-Bab, avec quenelles de veau, tête, langue et cervelle, croûtons et crêtes de coq.

La rue Montorgueil, de Saint-Eustache au Sentier, conserve grâce à un miracle piétonnier le dernier témoignage vivant de l'ancienne activité des halles et de son rythme nycthéméral. La jeunesse en a fait un de ses fiefs, les nouveaux Parisiens y sont chez eux. L'illustre Rocher de Cancale, champion toutes catégories des restaurants cités dans La Comédie humaine, de Balzac, n'exista que de 1804 à 1846, au numéro 59. L'escargot étant à cette époque l'huître du pauvre, ne subsiste aujourd'hui que L'Escargot Montorgueil, dont l'enseigne était, en 1874, "Vins, escargots, restaurant".

L'Escargot connut des heures de gloire. Marcel Proust y côtoyait Sarah Bernhardt ou Colette. Hemingway, Boris Vian, Charlie Chaplin et Salvador Dali étaient des habitués. Repris en 2005 par Laurent Couegnas, restauré avec délicatesse, le décor remarquable et émouvant mérite la visite. Et l'assiette n'est pas en reste.

Bourgognes et petits gris sont de la fête. Les escargots sont soumis au jeûne, au dégorgement, à une cuisson bouillonnante. Puis on enlève délicatement le tortillon et l'on remet en coquille avec le fameux beurre persillé. Beurre de Normandie et sel marin seront mélangés avec le poivre blanc. Y ajouterle persil simple et l'ail frais, "sans oublier un trait de fine champagne", ajoutait Ali Bab. Aujourd'hui, les escargots ont toujours la vedette, mais poissons et viandes, apprêtés par Frédéric Giraud, sont au diapason : admirables saint-jacques croustillantes, soles de petit bateau, dorade de ligne, ris de veau et pigeon, sans oublier la fameuse crêpe suzette sautée à l'ancienne sur le guéridon.

Malgré leurs efforts, ni Le Procope ni L'Escargot Montorgueil - c'est étrange - ne figurent dans le guide Michelin.


Le Procope. 13, rue de l'Ancienne-Comédie. 75006 Paris. Tél. : 01-40-46-79-00. Ouvert tous les jours. Menu Citoyenne-Citoyen (vin compris) : 29,50 €. Menu Les Philosophes : 32 €. A la carte, compter 50 €.

L'Escargot Montorgueil. 38, rue Montorgueil. 75001 Paris. Tél. : 01-42-36-83-51. Ouvert tous les jours. Menu gourmand (déj.) : 35 €-45 €. A la carte, compter 70 €.

Jean-Claude Ribaut


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