lundi 5 mai 2008

Deux hommes remarquables en Mai 68

Chronique, par Dominique Dhombres
LE MONDE 05.05.08
La Sorbonne était occupée le 3 mai 1968 par une centaine d'étudiants. C'était le début des "événements" comme on dit depuis quarante ans, faute de mieux, sans être jamais parvenu à trouver un mot plus précis. Deux acteurs majeurs de cette époque, le préfet de police Maurice Grimaud et le dirigeant étudiant Daniel Cohn-Bendit ne s'étaient jamais rencontrés. On pouvait les voir devisant tranquillement samedi 3 mai, au cours du 20 heures de France 2. Leur dialogue mérite d'être rapporté.
"L'occupation de la Sorbonne, le 3. Pourquoi il y a violence ? Par une maladresse de notre part", dit l'ancien préfet en mettant la main sur son coeur. "On avait évacué sans problème, sans matraquage. Vous étiez sortis normalement", ajoute-t-il en regardant l'ancien dirigeant étudiant avec un sourire. "La police n'avait qu'à se retirer", dit-il encore. Admirable préfet ! Les choses ne se sont pas passées ainsi. Les policiers qui avaient évacué la Sorbonne sans heurts font du zèle au Quartier latin. Ils multiplient les contrôles d'identité, les interpellations. Votre serviteur en sait quelque chose. Il a été arrêté à ce moment-là boulevard Saint-Michel par deux policiers en civil qui avaient curieusement décidé qu'il devait être un dangereux agitateur. Les premières barricades s'élèvent. Le slogan fuse : "Libérez nos camarades !" C'était plaisant, mais sans plus, d'entendre ce cri, dans un panier à salade, en attendant d'être transféré dans un centre de tri où une haie d'honneur, formée de CRS, matraques à la main, attendait les nouveaux arrivants. La nuit tombe. Il y a des barricades partout, des policiers qui chargent, des pavés qui volent, des grenades qui explosent. Le Quartier latin est en état d'insurrection. Personne n'a l'audace d'en aviser le chef de l'Etat.
"Le général de Gaulle dormait", dit l'ancien préfet. "Et personne pour le réveiller", l'interrompt Daniel Cohn- Bendit. "Non, on ne réveille pas de Gaulle", confirme Maurice Grimaud, toujours souriant, presque zen. "C'est incroyable ; ça aussi c'est la France de l'époque", dit Cohn-Bendit. On sent du respect mutuel entre les deux hommes. "Grimaud, ce n'est pas Papon", dit Cohn-Bendit, qui a toujours eu le sens de la formule. "J'observe, et ce n'est pas une flagornerie, le parcours de Daniel avec un extrême intérêt", dit Grimaud. Ce sera peut-être leur unique rencontre. Le préfet Grimaud restera, dans les esprits, comme celui qui a évité que le mois de Mai ne soit meurtrier. "Frapper un homme à terre, c'est se frapper soi-même", disait-il. Tout le monde connaît Daniel Cohn-Bendit, libertaire devenu Vert, révolutionnaire tourné réformiste, désormais député européen. Ces deux hommes ont été, en ce lointain mois de mai 1968, en tout point remarquables.

Dominique Dhombres
Article paru dans l'édition du 06.05.08.

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