samedi 10 mai 2008

Expositions : dans l'atelier révolutionnaire des affichistes de Mai 68

Critique

LE MONDE
07.05.08 18h45


D.R.Une affiche collée par des étudiants en mai 1968.



Jean Hillaireau, vous connaissez ? La chienlit, c'est lui ! L'une des affiches les plus connues, et les plus réussies, de Mai 68. Aujourd'hui installé à Montpellier, Hillaireau fait partie de ces dizaines de jeunes artistes qui occupèrent l'Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Paris du 14 mai au 27 juin. Certains sont devenus célèbres et font aujourd'hui l'objet d'une rétrospective au Grand Palais. D'autres sont restés dans l'ombre. Tous se voulaient, à l'origine, anonymes.

Commémoration oblige, les affiches de 1968 font l'objet de plusieurs expositions, au Musée des beaux-arts de Dole et à la Médiathèque de Tulle notamment. Et de deux livres : le premier, ouvrage collectif qui fait fonction de catalogue à l'exposition de Dole (éditions ENSBA-Musée de Dole), le second, dû à un spécialiste du graphisme, Michel Wlassikoff (éditions Alternatives). Le peintre Gérard Fromanger a décrit (Le Monde du 16 avril) la genèse de cet atelier pas comme les autres. La première idée était de faire une lithographie vendue au profit des étudiants en grève. Elle a été immédiatement placardée sur les murs par d'autres manifestants, moins au fait des choses de l'art. L'artiste Guy de Rougemont suggère alors d'abandonner la litho, procédé long et complexe, au profit de la sérigraphie, bien plus souple. "Un soir, se souvient Rougemont, je tombe en pleine assemblée générale. Ils présentaient une lithographie. Du fond de la salle, j'interviens pour conseiller la sérigraphie. Ils se retournent vers moi, et me disent : "Très bien. Tu montes un atelier de sérigraphie". J'étais bien embêté. Heureusement, j'ai croisé Eric Seydoux."
Aujourd'hui galeriste et éditeur, Seydoux est alors employé dans une imprimerie de la montagne Sainte-Geneviève : "On s'y est mis le soir même. Je crois qu'il s'agissait de l'affiche avec un poing levé. Ensuite, chaque projet était discuté en AG. Les débats étaient souvent houleux."
"Ils théorisaient, ils se battaient entre eux, sourit Rougemont. C'était génial. Tous les projets étaient alignés sur des cordes à linge et on discutait les mots d'ordre. Il y avait des staliniens bon teint, comme la coopérative des Malassis, ou des maoïstes, comme Pierre Buraglio. C'était un dur. On mettait les Rolling Stones sur le tourne-disque, il les remplaçait par des chants révolutionnaires vietnamiens."
L'ambiance est sérieuse. Depuis le 16 mai, à l'entrée des ateliers, une affiche est placardée : "Travailler dans l'Atelier populaire, c'est soutenir concrètement le grand mouvement des travailleurs en grève qui occupent leurs usines contre le gouvernement gaulliste antipopulaire." Des délégations venues des usines, des universités ou des lycées présentent leurs actions et réclament une affiche. Pour Rougemont : "C'était assez émouvant. Je me souviens en particulier des bateliers de Conflans-Sainte-Honorine. Un peu intimidés par l'ambiance, mais très convaincus du bien-fondé de leur démarche."
Les artistes faisaient des projets sur les sujets du jour, et les présentaient à l'AG suivante qui en discutait. La règle était claire, et elle aussi affichée : "Camarades créateurs : se mettre au service des travailleurs en lutte, c'est travailler sur des slogans acceptés par l'AG. Travailler sur sa petite idée personnelle, même juste, c'est rester dans le cadre étroit de la conception bourgeoise."


"DES CHOSES UTILES"


"On bossait tout le temps, dit Eric Seydoux. Soit on procédait à des retirages, soit on en faisait de nouvelles, soit on nettoyait les écrans. Avec des moyens dérisoires, mais c'était un des atouts de l'atelier. Une simplicité qui permettait d'apprendre à quelqu'un à faire un tirage en quelques minutes. On imprimait sur des fins de bobine de papier journal, que nous donnaient les ouvriers du Livre. Il fallait les débiter au bon format. J'étais là toutes les nuits."
Il arrive à Rougemont de coucher sur place. Rancillac dit l'avoir vu dormir la tête sur une pile d'affiches en guise d'oreiller. "L'Atelier avait une image très positive au sein du mouvement de Mai, précise Seydoux. Un endroit occupé qui faisait des choses utiles, visibles. Elles ont encore la pêche ! La technique a imposé son moyen d'expression." Un graphisme encore reconnaissable entre tous, des dessins efficaces, du CRS brandissant sa matraque aux usines stylisées avec les toits en biseau et leur grande cheminée.
L'aventure s'achève avec l'intervention de la police. "On avait été prévenus par un policier amateur d'art, témoigne Rougemont, donc on a eu le temps de prendre nos dispositions." Fromanger et Merri Jolivet emmènent le matériel jusqu'au local du PSU où ils tirent une dernière affiche : "La police s'affiche aux Beaux-Arts, les Beaux-Arts affichent dans la rue."
"Affiches de l'Atelier populaire des beaux-arts". Médiathèque, 36, avenue Alsace-Lorraine, Tulle. Jusqu'au 29 mai. Musée des beaux-arts de Dole, 85, rue des Arènes, Dole. Du 9 mai au 31 août. Sur Internet : http://www.musees-franchecomte.com/.

Harry Bellet
Article paru dans l'édition du 08.05.08.

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