mardi 25 mars 2008

Tuer le père ou caser le fils ?

Sébastien Lapaque
Le Figaro 13/03/2008

Glucksmann, Rotman, Linhart : être révolutionnaire est-il une charge héréditaire ?

Au printemps 1968, les émeutiers ont mis le feu à Paris comme un enfant casse ses jouets en expliquant qu'ils voulaient en finir avec la France du « oui-papa ». Il est donc assez comique, à quarante ans de distance, de voir Raphaël Glucksmann, fils d'un des acteurs emblématiques de cette dernière révolution française, donner la réplique à son père dans un numéro de oui-papa inédit. À bas l'État ? Oui-papa. Vive la révolution permanente ? Oui-papa. Salauds de Russes ? Oui-papa. On bombarde ? Oui-papa. L'antiaméricanisme est le socialisme des imbéciles ? Oui-papa. Mai 1968 fut une épiphanie libérale ? Oui-papa. Régis Debray un grincheux ? Oui-papa.
En 1983, au moment de la parution de La Force du vertige, certains avaient déjà souligné la désinvolture avec laquelle André Glucksmann avait pris en otage son fils pour justifier son atlantisme de fraîche date. «Dois-je, en mémoire de ma famille, proie de l'archipel nazi, accepter que mon enfant subisse l'archipel soviétique ?», demandait-il alors. Le petit Raphaël, âgé de quatre ans, était incapable de savoir s'il voulait être mort ou rouge. Vingt-cinq ans plus tard, l'enfant est devenu grand et répond à son père qui lui explique pourtant qu'il se méfie comme de la peste de «la foi, la tradition, la famille, l'héritage». C'est la rencontre de l'infantilisme prolongé (le père) et de la sénilité précoce (le fils). Mais ne dégoûtons pas le lecteur : leur livre à quatre mains, où l'on voit glisser les ombres de Vadius et de Trissotin, est à hurler de rire. C'est passe-moi la rhubarbe et je te passerai dans la France d'après.

Toucher les dividendes de la révolte

Ainsi certains insurgés d'hier, qui juraient de tuer le père et de liquider la famille bourgeoise, s'associent-ils avec leurs enfants pour toucher les dividendes de leur révolte. On sera moins sévère avec le gros album illustré que publient Patrick et Charlotte Rotman sur les années 1968 (1). C'est un travail d'archivistes et de mémorialistes joliment illustré et plutôt convaincant. Et on n'ironisera pas sur le livre de Virginie Linhart, une enquête intelligente et sensible, ni complaisante ni revancharde, sur les «fils et filles de», élevés dans le grand désordre idéologique et libidinal des années 1970. Dans Le jour où mon père s'est tu (2) , la fille de l'auteur de L'Établi rappelle que si les utopies gauchistes en ont enrichi quelques-uns, elles en ont détruit beaucoup d'autres. Son père a fait partie de ces normaliens maoïstes qui ont voulu partager les misères de la classe ouvrière en allant travailler en usine. Le naufrage de ses illusions l'a précipité dans un mutisme dont il n'est jamais sorti. Arrivée au milieu du chemin de sa vie, sa fille apaisée mène l'enquête. La lumière que Le jour où mon père s'est tu jette sur les grandeurs et les insuffisances de la relation de parent à enfant est plus stimulante que le dialogue des Glucksmann père et fils.

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