mardi 25 mars 2008

Que faisaient-ils pendant ce temps ?

Le Figaro 13/03/2008

Jean d'Ormessson : «je m'amusais un peu». «J'étais à Paris. Et je me promenais entre la rue Gay-Lussac et les Champs-Élysées. Je vous avoue que je m'amusais un peu, mais j'étais assez hostile à Mai 68, surtout à cause du traitement que les étudiants voulaient faire subir aux maîtres et à de Gaulle. Je n'ai pas aimé qu'ils renversent une poubelle sur Paul Ricœur. Je me souviens également de ce qu'avait dit Jouhandeau aux “révoltés” : “Vous deviendrez tous des notaires.” Et c'est tellement vrai, certains sont même devenus des notables. C'était une révolution surréaliste avec des slogans surréalistes. Le résultat n'a pas été fameux. Demandez aujourd'hui aux jeunes de vingt ans si leurs parents leur ont laissé une France en bon état ?»

Patrick Rambaud : «j'étais à l'armée». «Le 4 mars 1968, j'avais été convoqué par l'armée. J'étais étudiant à Nanterre et j'avais complètement oublié mon sursis… En mai 1968, j'étais donc en train de faire mon service militaire sur la base aérienne 105 d'Évreux, comme 2e classe. J'étais le secrétaire d'un capitaine. Pendant les événements, je rentrais en permission à Paris. Mais en France les révolutions s'arrêtent pendant le week-end. Les gens venaient visiter les barricades le dimanche. C'était très étrange. Je repartais le lundi matin comme un crétin. À ce moment-là, les officiers de la base étaient tous malades, comme par hasard : ils avaient peur. Il restait quatre pauvres étudiants pour recevoir les avions. On avait accueilli 6 000 parachutistes arrivés de Corse. Ils devaient se rendre dans les forêts des environs de Paris, prêts à intervenir. Je me souviens qu'ils étaient munis de rations de combat pour six jours ! Sous prétexte que nous n'avions pas les autorisations administratives nécessaires, nous les avons retenus le plus longtemps possible sur la base… Ce fut mon seul acte de résistance… passive !»

Danièle Sallenave : «J'ai fait de la télévision».«J'avais terminé mes études, j'enseignais dans un lycée et j'étais chargée de cours à Nanterre. Je travaillais par ailleurs à l'écriture de films scolaires avec des réalisateurs de télévision. Je n'étais pas d'accord avec la violence des mouvements étudiants. À Nanterre, j'avais assisté à des scènes qui m'avaient déplu. Je ne partageais pas leurs attaques contre le savoir et toute forme d'autorité. C'est à la télévision que j'ai vraiment “fait 68”, et là, j'ai vécu quelque chose de très intéressant. Les directeurs se sont mis à parler avec les dactylos. Nous avons voté des projets pour que le personnel participe aux décisions, etc. C'était utopique. Ces dactylos étaient incitées par les réalisateurs à s'impliquer, mais elles sentaient bien ce qu'il y avait d'illusoire dans cette générosité de bourgeois.»
Régine Deforges : «je distribuais des tracts». «Je distribuais des tracts, je vendais L'Enragé … Mais je trouvais tout cela amusant, et je n'arrivais pas à me sentir vraiment concernée, je me comportais davantage comme un spectateur, un voyeur. J'ai pourtant fait partie du comité “Écrivains-Étudiants” où se trouvaient Marguerite Duras, Maurice Blanchot, Claude Roy et bien d'autres. J'ai eu le sentiment de participer à un jeu. Ce n'était pas la révolution.»
Gabriel Matzneff : «sur la plage, sans les pavés». «En mai 1968, j'étais directement sur la plage, sans les pavés. J'en ai un souvenir enchanteur, car j'avais quitté Paris vers le 20 avril pour l'Espagne avec ma petite amie qui préparait son bac. Nous avons été bloqués pendant deux mois sur les plages de Franco sans savoir ce qui se passait. Tout était bloqué au-delà de Perpignan. Nous sommes rentrés le 15 juin, persuadés que le bac avait eu lieu, avec l'idée que Tatiana le repasserait l'année suivante, ce qui nous arrangeait puisqu'elle n'avait rien révisé. En fait, les épreuves avaient été décalées. Elle l'a passé et a été reçue triomphalement avec mention. Nous sommes donc allés porter des cierges à saint Cohn-Bendit, notre divinité tutélaire.»

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