mardi 25 mars 2008

Maurice Grimaud ou l'ordre juste

Eric Roussel
Le Figaro 13/03/2008

Le préfet de police des événements de Mai 68 publie ses Mémoires de grand commis de l'État.

Pour l'histoire, Maurice Grimaud restera le préfet de police de Mai 1968, celui qui par son sang-froid, son entente objective et providentielle avec le premier ministre Georges Pompidou, évita que les troubles ne dégénèrent. À travers le journal des événements qu'il publie dans son nouveau livre, les historiens et les curieux de cette époque trouveront d'ailleurs une multitude de précisions inédites. Ils y trouveront surtout l'étonnant parcours d'un homme pour lequel la haute fonction publique aura été une sorte de sacerdoce au service de l'intérêt général.
Rien, sinon des dons intellectuels évidents, ne prédisposait Maurice Grimaud à être un jour dans la capitale le responsable suprême du maintien de l'ordre. Ardéchois de naissance, fou de livres, il se destine d'abord à intégrer l'École normale supérieure, puis les hasards de l'existence le conduisent à entrer dans le corps préfectoral dont il gravira tous les échelons, jusqu'aux plus prestigieux. Indépendance et éclectisme marquent ses choix dans tous les domaines. En politique, Gaston Bergery, brillant anticonformiste (personne ne prévoit avant 1940 qu'il deviendra ambassadeur de Vichy à Ankara…), le séduit d'abord.

Une vive intelligence analytique

Dans les années 1950, il est, comme tant d'autres, profondément marqué par Pierre Mendès France. En littérature, s'il aime par-dessus tout Valéry, Gide, Proust et Giraudoux, Barrès l'enchante, Tocqueville le fascine et, relatant un séjour en Béarn durant l'été 1936 chez son ami Maurice Martin du Gard, il ne cache pas ses réserves vis-à-vis du philosophe Julien Benda, venu en visite, tranchant de tout, avec les arguments de la raison raisonnante.
En mai 1968, il aura la même réaction face à ceux qui, confrontés à une situation totalement inédite, n'auront d'autre idée que le recours aux méthodes de force. Celles-ci, il en reste profon­dément convaincu, étaient inadaptées, leur application aurait conduit à un désastre aux conséquences imprévisibles, la présidence du général de Gaulle se serait sans doute terminée dans des circonstances dramatiques.
Parmi tant d'autres, les pages consacrées à Noguès, résident général de France au Maroc de 1936 à 1943, retiennent particulièrement l'attention. Collaborateur du général à l'époque de la défaite, Maurice Grimaud s'efforce de faire comprendre la diffi­culté des choix auxquels fut confronté ce militaire républicain, gendre de Delcassé. Fallait-il refuser l'armistice et poursuivre le combat en Afrique du Nord ? Le réflexe premier de Noguès l'avait conduit dans cette direction, mais d'autres éléments d'appréciation emportèrent en définitive sa décision dans un sens opposé. Ainsi devait disparaître de la scène un homme qui plus tard aurait pu jouer un rôle clé. À lire Maurice Grimaud, on a le sentiment que sa vive intelligence analytique, qui lui dévoilait la complexité du contexte, finit par le paralyser.
La ténébreuse affaire Ben ­Barka fait elle aussi l'objet de précieux développements. Maurice Grimaud était bien placé pour en connaître les arcanes, puisqu'il était à l'époque directeur de la Sûreté. Toute la lumière n'a certes pas été faite sur cet épisode, mais la conviction du mémorialiste, fondée sur des informations de première main, est que le général de Gaulle disait vrai lorsqu'évoquant le meurtre à Paris du chef de l'opposition marocaine, il assurait : «Il n'y a rien dans tout cela que de vulgaire et de subalterne.»
Le livre refermé, le titre prend tout son sens. Face à l'événement, l'homme réagit avec ses nerfs mais aussi armé de quelques certitudes fondamentales, ce que l'on appelle un credo. Celui de Maurice Grimaud, tel qu'il se révèle ici, repose avant tout sur un véritable humanisme, le rejet de tout sectarisme, le goût du dialogue, la conviction que l'autre, si éloigné qu'il paraisse, peut être porteur de vérité.

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