samedi 20 septembre 2008

Mesrine, bandit sans limite

Mathieu Delahousse
Le Figaro 29/07/2008

«L'ennemi public numéro 1» était décrit par les experts psychiatres comme un homme à la personnalité «très solide, très affirmée et inébranlable». Jacques Mesrine et deux de ses complices réussiront à s'échapper des zones les plus surveillées de la prison parisienne de la Santé. Le gangster meurt «sur scène» le 2 novembre 1979, abattu par les balles de la police judiciaire, porte de Clignancourt. Crédits photo : AFP
ENNEMIS PUBLICS (3/18) - Tué par la police en novembre 1979 à Paris, le gangster avait lui-même conçu la mythologie entourant son parcours. Et le personnage intrigue encore.

Ce hold-up-là n'a jamais été recensé dans le généreux casier judiciaire du bandit. Mais il est incontestablement le plus réussi puisqu'il produit encore aujourd'hui ses effets. En droit, on pourrait appeler cela un délit continu, c'est-à-dire une infraction qui se prolonge dans le temps sans qu'on réussisse à l'arrêter. Clandestinement, Mesrine est parvenu à s'introduire dans la mémoire de chacun d'entre nous. Dans ce hold-up pour la célébrité, lui seul s'est octroyé, comme on le fait d'un label ou d'une appellation d'origine contrôlée, le surnom d' «ennemi public numéro un».
Cette bataille pour la lumière a débuté bien tôt. Parfois, de façon tonitruante, comme lors de son procès de mai 1977 devant la cour d'assises de Paris, un an avant son historique évasion de la prison de la Santé et deux ans avant sa mort sur scène, abattu par les balles de la police judiciaire parisienne, porte de Clignancourt.
Durant ce procès, Jacques Mesrine tient la vedette face au magistrat Charles Petit, qui préside l'audience. Ce dernier est agacé par les fanfaronnades de l'accusé. Il l'apostrophe comme un proviseur le ferait avec un cancre invétéré :
« Mesrine, ne pensez-vous pas être prisonnier de votre personnage ?
Je suis surtout prisonnier de l'administration, Monsieur le Président.»
Mesrine met les rieurs de son côté, mais le magistrat analyse :
«Vous êtes prisonnier de votre personnage, Mesrine ! Et cela représente sans doute pour vous l'évasion la plus difficile à réaliser.
Peu enclin aux confidences, Jacques Mesrine lancera qu'il n'est pas «l'ennemi public» mais «l'ennemi d'un service public : les banques». Après le passage à la barre d'un expert psychiatre, qui décrit un accusé à la personnalité «très solide, très affirmée et inébranlable», Mesrine accepte spontanément de reconnaître qu'il est enfermé dans une infernale logique. Condamné, pour survivre, à la récidive, à l'évasion et à l'orgueil du bandit. «Si Mesrine n'agissait pas comme il agit actuellement, Mesrine serait foutu, dira-t-il lui-même devant la cour d'assises. Je joue peut-être un personnage. Mais, au moins, je suis sincère avec moi-même.»
Dans les faits, l'engrenage criminel débute en 1968 au Québec. L'enfant de Clichy, marqué par son service militaire en pleine guerre d'Algérie, a alors 32 ans, et déjà des policiers aux trousses. Il a traîné sa silhouette athlétique et sa mine souvent souriante dans plusieurs affaires de cambriolage, d'escroquerie et de ports d'armes prohibés qui l'ont conduit à découvrir la prison d'Évreux, puis celle d'Orléans. Outre-Atlantique, un seuil est franchi. Avec sa compagne Jeanne, Mesrine semble d'abord se racheter une conduite en travaillant pendant plusieurs mois au service du millionnaire Georges Delauriers. Peine perdue : il s'agit en réalité de l'enlever et de le séquestrer contre la remise d'une forte rançon. Le rapt tourne court. Malgré leur fuite aux États-Unis, Mesrine et son amie sont arrêtés le 16 juillet 1969 au Texas, extradés vers le Canada et placés en détention.
Le pénitencier de Saint-Vincent-de-Paul, «unité spéciale de correction», le garde trois années avant une évasion retentissante en août 1972, suivie d'un été de violences, de braquages et même du meurtre de deux gardes-chasse, près de Saint-Louis-de-Blandford. Dans ces épisodes, Jacques Mesrine a trouvé une motivation qui, dès lors, ne cessera plus de l'animer : faire face à la société en général et l'administration pénitentiaire en particulier. Il revient ainsi vers le centre pénitencier de Saint-Vincent-de-Paul pour l'assiéger et tenter d'en libérer les occupants. «On y devenait fauve ou fou», affirmera-t-il plus tard, stigmatisant les prisons à sécurité renforcée, qu'elles soient canadiennes ou françaises.
«L'évasion est un droit», crâne-t-il à son procès parisien de 1977. Pour lui, «les juges sont les complices passifs de l'administration pénitentiaire». On imagine le mépris qui teinte sa voix au moment de prononcer ces paroles.
Avec les policiers, c'est autre chose. Mesrine se plaît à se savoir traqué par de «grands flics». La légende, là encore, a gardé la trace de ses phrases théâtrales déclamées malgré l'agitation des opérations de police. «Chapeau, messieurs ! Vous êtes plus forts que vos collègues américains», aurait ainsi lancé Mesrine aux policiers venus le cueillir en mars 1973 dans le hall de son immeuble, à Boulogne-Billancourt. Six mois et une évasion spectaculaire du tribunal de Compiègne plus tard, Mesrine donnera à son arrestation, rue Vergniaud, dans le XIIIe arrondissement de Paris, le même goût du panache et de la frime. Reclus dans son appartement, il parlemente avec le chef adjoint de brigade antigang, Robert Broussard, et le commissaire parisien Marcel Leclerc, restés derrière la porte.
Quand, à l'issue des palabres, Broussard accepte de s'avancer sans armes, Mesrine a préparé une bouteille de champagne pour saluer l'arrivée de ses poursuivants.
Mesrine qui, dans les colonnes du Figaro de mars 1973, était encore surnommé «l'ennemi public canadien», devient, six mois plus tard, «l'ennemi public» tout court. Incarcéré à la maison d'arrêt de la Santé, il parvient à porter à l'extérieur son combat pour la dénonciation des quartiers de haute sécurité (QHS). Et quand, à l'aube du 8 mai 1978, il arrive à fuir avec deux complices des zones les plus surveillées de la prison parisienne, la discrétion nécessaire à toute cavale est absente de sa stratégie.
Au printemps, il braque une armurerie du Xe arrondissement, file à Deauville braquer le casino puis saucissonne le directeur de l'agence de la Société générale du Raincy. Avant un exil en Sicile, en Algérie et en Angleterre. Avec le complice qui ne l'a pas quitté depuis l'évasion de la Santé, il continue à narguer la police. En précisant sa destinée dans les colonnes de Paris Match : «Face à des flics armés, je n'ai aucune limite. Je suis sans pitié, j'allume et je tire. Je sais très bien que ça se terminera mal. Je sais très bien que je vais mourir, que je vais me faire abattre. Ce sera celui qui tirera le premier qui gagnera.»
La mécanique enclenchée est implacable. Et le compte à rebours avant la fusillade de la porte de Clignancourt semble irrémédiablement engagé. Le match se joue entre Mesrine et l'État. En août 1979, après l'enlèvement du milliardaire sarthois Henri Lelièvre, le ministre de l'Intérieur Christian Bonnet décide de créer une cellule de coordination entre les différents services de police avec comme unique but : mettre fin aux insolents succès du bandit.
Avant que sa BMW ne soit atteinte, le 2 novembre, à 15 h 15, de 21 balles tirées par les policiers, le dernier fait d'armes de Jacques Mesrine sera réservé aux médias. Il piège un journaliste de l'hebdomadaire d'extrême droite Minute pour lui infliger une sévère correction qui aurait pu virer à l'homicide.
Mesrine désormais mort, on trouve dans les pièces à conviction saisies par la police ses ultimes témoignages et ses propres commentaires sur sa fuite en avant.
Sur une cassette audio préparée «en cas de malheur», à l'attention de sa compagne Sylvie, Mesrine concluait : «Si tu écoutes cette cassette, c'est que je suis dans une cellule dont on ne s'évade pas (…). À la finale, je vais rester un exemple ! Un mauvais exemple ? C'est ça qui est terrible. C'est que certains vont faire de moi un héros alors qu'il n'y a pas de héros dans la criminalité. Il n'y a que des hommes qui sont marginaux, qui n'acceptent pas les lois parce que les lois sont faites pour les riches et les forts.»
Au Palais de justice de Paris, le dossier Mesrine n'a été refermé qu'en octobre 2006 avec un non-lieu définitif, après la plainte pour assassinat qui avait été déposée par la famille de Jacques Mesrine. Son corps repose au cimetière nord de Clichy. Son personnage, lui, n'est pas éteint. À la rentrée, il sera incarné avec une troublante ressemblance par l'acteur Vincent Cassel. Filmée par Jean-François Richet, la saga fera revivre le personnage en deux films. Le premier volet, qui sortira en octobre, est intitulé L'Instinct de mort, en référence au livre écrit par Mesrine en 1977. Le second volet, promis pour mars 2009, aura comme seul titre L'Ennemi public numéro un. Sans qu'il soit besoin de préciser de qui il s'agit.

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