samedi 20 septembre 2008

Andreas Baader,dandy rouge sang

Pierre Bocev
Le Figaro 31/07/2008

Pour Andreas Baader,la violence criminelle et la violence politique ne font qu'un. Ses deux complices, Ulrike Meinhof et Gudrun Ensslin (ci-dessus), réussissent son évasion spectaculaire de prison, un actequi signe la naissancede la RAF. Condamné à perpétuité et incarcéré, Andreas Baader met fin à ses jours en se tirant une balle dans la tête. Crédits photo : ASSOCIATED PRESS

ENNEMIS PUBLICS (5/18) - Fondateur de la Fraction armée rouge, narcissique et violent, le terroriste allemand et sa bande multiplient les actes «révolutionnaires» dans les années 1970.

Le 14 mai 1970, le petit malfaiteur et dandy narcissique Andreas Baader entre dans l'histoire. Il gardera son image d'ennemi public numéro un jusqu'à son suicide en prison sept ans plus tard, et bien au-delà : sa création, la Rote Armee Fraktion (RAF), lui survivra encore pendant vingt « années de plomb » jusqu'à son autodissolution le 20 avril 1998, jour anniversaire de la naissance d'un autre monstre, Adolf Hitler.
Ce jeudi de mai dans la banlieue chic de Dahlem à Berlin, le prisonnier Baader, condamné à trois ans de détention pour avoir incendié deux ans plus tôt deux grands magasins à Francfort, saute par une fenêtre au rez-de-chaussée de l'Institut central des questions sociales et se fond dans la clandestinité. Le commando qui a organisé sa libération l'arme au poing comprend quatre femmes, dont deux deviendront emblématiques de la Fraction armée rouge : Gudrun Ensslin, l'amante de Baader, et Ulrike Meinhof, la théoricienne de la guérilla urbaine, qui poussera l'État fédéral ouest-allemand dans ses derniers retranchements.
Baader, lui, n'a jamais eu la soif de théories. Son truc, c'est les voitures rapides, le fric dépensé par brassées entières et, surtout, lui-même. «Un type comme moi a besoin de son after-shave», assurera-t-il en prison où il gardera dans sa cellule 719 deux manteaux de fourrure et plusieurs paires de lunettes de soleil.
Son enfance sans père y est-elle pour quelque chose ? Andreas Baader naît le 6 mai 1943 à Munich. Son père Berndt Philipp Baader combat sur le front de l'Est avec la Wehrmacht. Fait prisonnier par l'Armée rouge, il disparaît à jamais. L'enfant, qui est renvoyé de toutes les écoles, grandit dans un matriarcat trop bienveillant, sa mère, sa grand-mère et une tante sous le même toit. «Il n'a jamais eu peur, il est toujours allé au bout des choses», se souvient sa mère, Anneliese.
À 18 ans, il connaît pour la première fois la prison, pour vol de voiture. Le casier judiciaire s'allonge, faux et usage de faux, voitures et motos toujours, sans jamais avoir pris la peine de passer son permis. Pour lui, note sa biographe Karin Wieland, «la violence criminelleet la violence politique ne font plus qu'un». Il se voit en avant-garde révolutionnaire pour compenser une enfance faite d'échecs.
Berlin, où il monte en 1963, à vingt ans, lui offre l'occasion de s'éclater. Journaliste autoproclamé, il s'installe chez Ellinor Michel, une artiste peintre, et son mari. Elle dira plus tard qu'«un être humain moral est capable de distinguer le mal du bien» alors que Baader a «toujours tapé dans le mal». Leur fille Suse naît en 1965, deux ans avant la rencontre fatidique avec Gudrun Ensslin. Intellectuelle de gauche, la fille de pasteur, de trois ans l'aînée de l'homme à femmes Baader, est en voie de marginalisation. Elle abandonne son compagnon et leur fils, ils se mettent en ménage. Bonnie et Clyde à l'allemande, grands pourfendeurs de l'impérialisme américain et parrains à Francfort d'un programme animé par l'opposition extraparlementaire APO pour venir en aide aux jeunes asociaux.
C'est là, à Francfort, avec elle et deux complices, que Baader pose le 2 avril 1968 des bombes incendiaires dans deux grands magasins. Les détonateurs sont réglés à minuit, pour ne blesser personne. Un souci qui ne sera bientôt plus le leur… Ils sont arrêtés deux jours plus tard et condamnés à trois ans de prison. Défendue par Otto Schily, futur ministre fédéral de l'Intérieur du gouvernement Schröder, Ensslin explique au procès qu'il s'agissait de protester «contre l'indifférence face au génocide au Vietnam».
L'appel du jugement leur permet de recouvrer la liberté. Mais quand il est rejeté, en novembre 1969, pas question d'aller en taule. Paris, Les Deux Magots, les révolutionnaires privés de révolution s'ennuient dans leur exil de luxe, locataires dans l'île de la Cité de l'appartement de Régis Debray, parti, lui, pour la vraie révolution. Rome ensuite, où les tourtereaux de l'anti-impérialisme fréquentent ce qui ne s'appelle pas encore la gauche caviar.
Horst Mahler, l'avocat de Baader au procès de Francfort, les fait revenir à Berlin pour participer à son rêve, la création des «cellules révolutionnaires». Le couple en cavale y opère la jonction avec Ulrike Meinhof, une journaliste de gauche connue qui venait de quitter mari et carrière à Hambourg pour aller «combattre le fascisme» à Berlin avec ses jumelles de sept ans. Baader, le dandy de grand chemin, se retrouve en compagnie de deux intellectuelles prêtes à tout. Pour Ensslin, il est «l'ennemi numéro un de l'État, son rival, la conscience collective, la morale des humiliés et des insultés, du prolétariatdes métropoles».
Trahi par une taupe, il est arrêté dès le 4 avril 1970 et incarcéré. C'est là que Meinhof et Ensslin préparent son évasion spectaculaire, ce 14 mai qui signe l'acte de naissance de la RAF. Aussitôt réunie, la «bande à Baader» rejoint, via Berlin-Est, le Proche-Orient. Les rangs ont grossi. Ils sont une vingtaine en tout. Dans les camps palestiniens du Fatah, ils s'entraînent à manier la Kalachnikov. Méticuleux et propre toujours, le Dorian Gray de la révolution refuse le treillis et crapahute dans le sable en pantalon de velours. Le séjour en Jordanie lui permet de consolider sa stature de chef, misogyne
au besoin, quand il s'agit d'asseoir son autorité sur les «vieilles connasses» d'intellectuelles en adoration devant le journaliste raté.
Retour à Berlin. Dix-huit mois passés à voler des voitures, braquer des banques, faire effraction dans les administrations pour se procurer de vrais-faux papiers, bref constituer le capital de départ pour la lutte. Bilan : quatre soldats américains tués, une cinquantaine de blessés. Les attentats, dorénavant, sont signés de la RAF. Le portrait de Baader et de ses acolytes s'affiche dans les lieux publics, récompense à l'appui. L'étau se resserre.
Le 1er juin 1972 à 5 h 50, Andreas Baader et deux complices sont arrêtés à Francfort, lui au volant d'une Porsche couleur aubergine, à l'entrée d'un parking souterrain qui servait de cache d'armes.
En prison, où ses égéries Ensslin et Meinhof et bien d'autres le rejoignent rapidement, c'est une noria de grèves de la faim et de dénonciations de «l'État fasciste». L'une des actions de propagande les plus spectaculaires est la visite de Jean-Paul Sartre à Baader, le 4 décembre 1974, au pénitencier de Stammheim, spécialement érigé pour la RAF.
Les tentatives d'arracher la libération du groupe par la force avaient débuté dès 1972. C'est l'attaque des JO de Munich par un commando de Palestiniens avec pour revendication l'élargissement de Baader et Meinhof. Dix-sept morts. Les autorités ne cèdent pas. C'est ensuite, le 24 avril 1975 à Stockholm, l'assaut donné à l'ambassade de RFA. Deux otages et deux terroristes y périssent, sans faire avancer la cause. De leurs cellules au 7e étage de Stammheim, ils organisent tout. Une «deuxième génération» de la RAF est toujours en liberté. Complaisants, les avocats des membres fondateurs se prêtent à la transmission des ordres, voire infiltrent des armes dans la prison.
Saisie par le doute, accusée de trahison par ses coaccusés, Ulrike Meinhof s'y suicide par pendaison le 9 mai 1976. Un an plus tard, le 28 avril 1977, Andreas Baader, Gudrun Ensslin et Jan-Carl Raspe sont condamnés à perpétuité pour cinq meurtres et cinquante-quatre tentatives de meurtre.
La pression sur l'État de droit s'accentue. Le procureur général Siegfried Buback est assassiné le 7 avril 1977, puis le banquier Jürgen Ponto, le 30 juillet. «L'automne allemand» culmine dans l'enlèvement de Hanns Martin Schleyer, le patron des patrons, le 5 septembre. «Prisonnier de la RAF» pendant quarante-quatre jours interminables durant lesquels le gouvernement d'Helmut Schmidt temporise et toutes les polices de RFA se mobilisent. La crise atteint son paroxysme quand quatre Palestiniens détournent un Boeing de la Lufthansa, le 13 octobre. L'assaut est donné la nuit du 18 à Mogadiscio, les otages sont libres.
À Stammheim, cette même nuit, Baader se tire une balle dans la tête. Raspe aussi. Ensslin se pend. Depuis des semaines, ils clamaient que l'État haï soit les libérerait, soit les tuerait. Un mensonge pour vengeance posthume. Irmgard Möller survit, blessée à coups de couteau. Elle est la seule à encore proclamer que ce n'étaient pas des suicides.

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