samedi 20 septembre 2008

Bruno Sulak, l'aventurier perdu


Étienne de Montety
Le Figaro 13/08/2008


Élégant, charmeur, Bruno Sulak fut notamment surnommé l'«Arséne Lupin des bijouteries». Braqueur mettant un point d'honneur à ne jamais user de violence, cet ancien légionnaire fut condamné à neuf ans de prison par la cour d'assises du Tarn. Son complice, «le Yougo», perdra la vie en essayant de le faire évader par hélicoptère, avant que Bruno Sulak ne décède à son tour après une chute mortelle, lors d'une nouvelle tentative de se faire la belle.
Élégant, charmeur, Bruno Sulak fut notamment surnommé l'«Arséne Lupin des bijouteries». Braqueur mettant un point d'honneur à ne jamais user de violence, cet ancien légionnaire fut condamné à neuf ans de prison par la cour d'assises du Tarn. Son complice, «le Yougo», perdra la vie en essayant de le faire évader par hélicoptère, avant que Bruno Sulak ne décède à son tour après une chute mortelle, lors d'une nouvelle tentative de se faire la belle. Crédits photo : AFP

ENNEMIS PUBLICS (15/18) - Épris d'action et d'aventure, refusant le recours à la violence, l'ancien légionnaire, reconverti en braqueur au début des années 1980, rêvait d'un destin de voyou au grand cœur.

» VIDÉO INA - Le hold-up de la bijouterie Cartier à Cannes, en août 1983

» VIDÉO INA - Le procès de Bruno Sulak, en mars 1984

» VIDÉO INA - Sa tentative d'évasion fatale en mars 1985

» VIDÉO INA - Ses complices au sein de la prison identifiés

» VIDÉO INA - L'annonce de la mort de Bruno Sulak

Ce jour-là, le téléphone sonne dans le bureau du commissaire Moréas, à l'Office central de la répression du banditisme : «Moréas, tu me reconnais ?»

Cette voix enjouée, affectée d'un léger bégaiement, pas de doute : c'est Sulak.

Le patron de l'Office central de la répression du banditisme n'en revient pas : l'homme le plus recherché de France se paie le joli culot de lui téléphoner.

Bruno Sulak n'est pas un client ordinaire. Il est ce que les flics nomment «un beau mec» : de l'envergure, du bagout, du panache. Dès sa première arrestation, l'homme a impressionné Georges Moréas. Mieux, il l'a séduit : arrêté pour hold-up, il fait belle figure. Les juges d'instruction à ses basques ne l'intimident pas. Devant le commissaire, il est disert, négociant le sort de sa compagne, argumentant, se justifiant. Il parle de tout avec aisance, de politique, de sport, de voyages. Plus proche d'Albert Spaggiari que de Jacques Mesrine, il n'a jamais manqué à son serment de respecter les règles de l'honneur cet honneur fût-il celui des voyous : les braquages oui, mais jamais de sang, jamais de violence.

Six mois plus tard, en juillet 1982, Sulak se fait la belle : un juge de Montpellier sollicite son transfert pour une minable histoire de chèque sans provision. Dans le train qui le ramène à Lyon, des hommes surgissent, neutralisent les gendarmes qui l'escortent et voici Sulak qui disparaît dans la foule en pleine gare de Nîmes, menottes aux mains. Sa légende est en route.

À moins de 30 ans, Bruno Sulak est déjà riche d'un beau curriculum vitae : plusieurs casses et des millions de francs en poche.

Depuis son plus jeune âge, il ne tient pas en place. Gamin de Marseille, élevé face à la mer, il s'est engagé à 20 ans dans la Légion étrangère. Beau geste, mais surtout respect d'une tradition familiale. Son père est un ancien Képi blanc, ayant servi en Indochine d'où il est revenu avec un bras en moins et quelques décorations en plus.

À Calvi, où il sert dans les parachutistes, Sulak est le légionnaire Bernard Suchon. En 1978, il déserte. Pas de chance, au même moment son régiment est engagé dans l'opération «Léopard» à Kolwezi, au Zaïre. Il manque une occasion unique de se couvrir de gloire. Tant pis, il acquerra une autre gloire, en faisant les gros titres d'une autre rubrique que la rubrique militaire : celle des faits divers. Pour le Milieu, comme il y a le Mexicain ou le Corse, il va devenir le «Légionnaire». Son complice s'appelle Radisa Jovanovic ; lui, c'est le «Yougo».

Dans les mois qui suivent son évasion, les braquages se multiplient : Van Gold à Paris, rue de Caumartin, Cartier avenue Montaigne. Et la même enseigne sur la Croisette. La méthode de Sulak et Jovanovic (alias Steve) est rodée : les employés sont menottés pendant que les malfaiteurs font main basse sur les parures, colliers, et autres bracelets. Ceux-ci prennent soin d'emporter le film de la caméra de surveillance et s'enfuient à pied.

À Cannes, c'est en tenue de tennis, avec à la main un sac de sport d'où dépasse le manche d'une raquette, que Sulak opère. On ne fait pas plus smart.

Sidéré par les deux hold-up dont viennent d'être victimes ses magasins, le PDG de Cartier, Alain-Dominique Perrin, déclare : «Dans l'esprit du public, c'est une mémorisation visuelle du nom Cartier comme aucune campagne ne pourrait la créer.»

Le commissaire Moréas reçoit d'autres coups de téléphone : «C'est Bruno.» Un «Bruno» qui cherche à s'expliquer, commente son coup de la veille, exprime ses doutes. Il propose même au policier de le rencontrer, à la loyale : «Tu me donnes ta parole, tu viendras seul sans armes et ça se passera bien.» Moréas hésite, accepte. La tentation est la plus forte. Mais la rencontre ne se fera pas. Le voyou et le flic sont devenus les meilleurs ennemis du monde.

Sa réputation enfle. La presse, jamais avare de qualificatifs, le surnomme l'«Arsène Lupin des bijouteries», «le champion de la cambriole». L'opinion publique aime le bandit, qui n'a pas de sang sur les mains. Il est élégant, charmeur, il aime le risque.

Le jour où il braque Van Gold, le chancelier allemand Kohl est à Paris et c'est au cœur d'un important dispositif de sécurité que le Légionnaire s'offre le luxe d'accomplir son méfait.

On raconte qu'au cours d'un de ses braquages, dans une bijouterie, une jolie femme noire est en train d'essayer une bague. Au moment de quitter les lieux, Sulak la lui glisse galamment au doigt.

Lupin est aussi Robin des bois quand, faut-il l'en croire ?, avisant sur les marches du métro une vieille mendiante, il lui achète un bouquet de violettes et lui tend une liasse de vingt billets de 500 F. Si non e vero.

Son allure sportive, son visage barré d'un sourire d'enfant heureux sont ses meilleurs atouts : il semble séduire tout le monde, même Dame la Chance.

Un jour cependant, au cours d'un braquage à Thionville, l'affaire est à deux doigts de tourner vilain. Sulak est contraint de prendre un otage et menace les policiers avec une grenade dégoupillée.

Trois jours après, il appelle Moréas, ébranlé : «Tu as raison. Je suis un danger pour la société.» Est-ce la peur du casse de trop, celui qui lui ferait rompre son serment d'honneur ? Il se fait oublier en gagnant le Brésil.

Mais la retraite n'est pas son fort. Il retrouve l'Europe au bout de quelques mois. En février 1984, il est arrêté à la frontière espagnole, près d'Hendaye. Sa voiture figure au registre des voitures volées. Il tente de raconter une belle histoire, celle d'un photographe fantasque nommé Savic, fuyant une épouse abusive. Les policiers mettront plusieurs jours à faire le lien entre le jeune escroc des Pyrénées et celui qu'ils recherchent. Alors qu'ils s'apprêtent à le remettre en liberté en échange d'une simple caution, ils s'avisent que les empreintes de Savic sont les mêmes que celles d'un dénommé Sulak.

Le voici en prison, d'abord à Bayonne puis à Gradignan. Avec la ferme intention de se faire la belle. En 1980, à Albi, n'est-il pas parvenu à s'enfuir en sciant les barreaux de sa cellule ? Aucune porte, aucun mur ne paraît en mesure de résister à son charme. De son côté, son ami Jovanovic tente le tout pour le tout. Il imagine de faire évader Sulak de la prison par hélicoptère en obligeant le pilote à se poser dans la cour. Le 11 février 1984, il se présente dans une société de location d'avions. Mais au lieu d'un employé qui lui remettrait les clés de l'hélicoptère qu'il a loué, c'est la police qui l'accueille. Une fusillade éclate et le Yougo est tué. Sur lui, les policiers trouvent un plan de la prison de Gradignan, des faux papiers. L'évasion de Sulak était programmée à la minute près. La baraka, jusqu'ici sa meilleure amie, paraît l'avoir plaqué.

À son procès, il prend neuf ans. En attendant le jugement de toutes les affaires qui devraient lui valoir un bail de longue durée derrière les barreaux, il purge sa peine à Fleury-Mérogis. Il lit des récits de Le Clézio, philosophe, raconte ses aventures dans L'Autre Journal, le magazine anar de Michel Butel. Il écrit : «Je n'ai jamais réussi à décoller de l'enfance, des contes des Mille et Une Nuits, rêves d'enfant, réincarnation de Villon, Cartouche.»

Dans la nuit du 17 au 18 mars 1985, Sulak sort de sa cellule. Tout se passe sans anicroche. Ou presque. Son évasion est découverte. Échappant à ses poursuivants, il saute du deuxième étage du bâtiment. Pour un légionnaire, un saut ordinaire. Mais ce jour-là, l'ancien chuteur fait une chute mortelle. Il expirera quelques jours après, des suites de ses blessures : poussé par quelqu'un ? Gêné dans sa chute ?

Le mystère demeure, alimenté par sa famille et ses admirateurs.

Quelques semaines plus tard, le directeur adjoint de la prison et un gardien sont arrêtés pour complicité. Sulak le séducteur leur avait promis millions et merveilles en échange de talkies-walkies, d'explosifs et de complicités internes. Même en prison, il n'avait pas renoncé à offrir du rêve.

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