mercredi 30 avril 2008

Quand l'ancien gauchiste Joshka Fisher compare les néoconservateurs aux léninistes

LE MONDE 30.04.08 14h37
New York, correspondant



Joshka Fisher. (D.R.)
Des colloques où on s'écharpe entre "anciens", des conférences, des documentaires où on découvre le rôle initiateur de l'association des étudiants noirs dans la "prise" de l'université Columbia par les étudiants en colère en 1968 : une semaine durant, la célèbre institution académique new-yorkaise consacre une série d'événements pour revisiter l'année 1968 aux Etats-Unis et dans le monde. Mardi soir, 29 avril, Joshka Fisher, gauchiste à l'époque, devenu dirigeant du parti Vert allemand puis vice-chancelier et ministre des affaires étrangères du gouvernement Schröder (1998-2005), était invité à livrer son bilan.
D'abord, "it was a lot of fun" (c'était très agréable). Un distingué germaniste s'insurge : qu'y avait-il donc de si sympathique dans cette menaçante effervescence ? "L'explosion des carcans, répond l'ancien ministre. Vous voulez des détails ?" Plus sérieusement : le bilan de 1968 est positif, explique M. Fisher, parce que ce soulèvement à beaucoup participé à modifier les vieilles normes sociales, ce dont les femmes, en particulier, ont été bénéficiaires. "C'est une période de libération, et malgré tous ses aspects négatifs, ce fut un succès", prélude, en particulier, à la résistible érosion de la prééminence communiste à gauche en Europe occidentale.
Le négatif n'est pas éludé, en particulier la dérive terroriste, qui, dit-il, n'a eu lieu que dans les trois pays de l'Axe durant la seconde guerre mondiale : Allemagne, Italie, Japon. Lui y voit une causalité.

UN ANCIEN GAUCHISTE AVISÉ

Mais c'est surtout du bilan dont il veut parler. Il fait partie de cette génération qui, parce qu'elle plaçait la politique au cœur de ses préoccupations, est passée de l'idéologie au réalisme. Là, brusquement, il dévie. Il aborde l'Irak. Autant il a été favorable à l'intervention en Afghanistan, autant il a été instantanément opposé à celle que les Américains envisageaient en Irak.
Il ne croyait pas au lien entre Saddam Hussein et Al-Qaida. Mais surtout, dit-il, quand il a commencé de rencontrer les émissaires de l'administration Bush, "les Wolfowitz, Perle, tous ces néoconservateurs, je retrouvais chez eux ce type de conviction pour laquelle la réalité n'est pas un argument. Et je savais que cet état d'esprit, c'est la garantie de l'échec". Une fois sa conférence terminée, il précisera sa pensée : "Les néoconservateurs avaient une vision quasi léniniste : ils voulaient répandre la démocratie à la pointe du fusil exactement comme les bolchéviks voulaient étendre la révolution prolétarienne." Le rapport avec 1968 ? S'il a pu "instantanément" percevoir cette propension, c'est, ajoute-t-il, parce que "mon instinct [d'ancien gauchiste] m'a immédiatement prémuni : j'avais face à moi des idéologues". Preuve que son "expérience" gauchiste n'avait pas été inutile...
Sylvain Cypel

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