mercredi 16 février 2011

"La Chute de Saïgon", d'Olivier Todd : questions sur l'Amérique en guerre


Le livre du jour

LEMONDE | 15.02.11 | 15h54 • Mis à jour le 15.02.11 | 15h55


Pourquoi s'intéresser à nouveau à la chute de Saïgon, qui paraît appartenir à une histoire très ancienne ? Parce qu'elle est d'une étrange actualité. Elle permet de mieux comprendre la désastreuse campagne de George W. Bush en Irak et l'interminable guerre d'Afghanistan.

C'était il y a trente-six ans, le 30 avril 1975, au petit matin, par une aube claire, sans brouillard ni brume. Une quinzaine de divisions nord-vietnamiennes entourent la ville qui était jusqu'alors la capitale du Sud-Vietnam. Presque sans combats, les bo doï, casque de liège sur la tête, AK 47 en bandoulière, avancent derrière des chars soviétiques T-54 et T-56. Ils prennent une ville ébahie.

Saïgon ne comprend pas très bien ce qui lui arrive - pas tout de suite. Le Nord, communiste, appuyé par l'URSS et la Chine, vient de vaincre le Sud, longtemps soutenu par les Etats-Unis. Le Vietnam, divisé depuis près d'un demi-siècle, est réunifié par la force.

Journaliste, essayiste, romancier, Olivier Todd a reconstitué cet événement, ces journées des 29 et 30 avril, heure par heure, et les quatre mois qui les précèdent. De la défaite du Sud-Vietnam, où les Américains étaient massivement engagés depuis 1965, il dit : ce fut peut-être la dernière grande victoire du bloc communiste. Publié pour la première fois en 1987, ce livre se lit autant comme un ouvrage d'histoire contemporaine - ce qu'il est de manière pointilleuse - que comme un portrait de l'Amérique en guerre.

Enorme puissance militaire, les Etats-Unis sont une démocratie. La conduite de la guerre s'accommode mal d'un jeu politique à entrées multiples, où la décision appartient à plusieurs acteurs à la fois : le président, le département d'Etat, celui de la défense, le Congrès, pour ne pas parler de la presse.

Regard "désidéologisé"

Archives compilées, témoins interrogés en direct, Olivier Todd fait revivre tous les acteurs washingtoniens de l'époque. C'est plus prenant qu'une série d'épisodes du feuilleton télévisé "A la Maison Blanche". Il en ressort cette bonne vieille leçon de l'histoire : au moins autant sinon plus que les militaires, les "politiques" décident de l'issue de la guerre. La machine politique à l'oeuvre à Washington en 1975, cahotante, hésitante, ressemble à s'y tromper à celle d'aujourd'hui, heurtée, en proie au doute - celle qui met des mois avant de décider un retrait partiel d'Irak et un an avant d'ordonner tel tournant tactique en Afghanistan.

Longtemps, l'auteur a souffert de crises de "vietnamite" : il aime le Vietnam. Journaliste durant la guerre, il y a multiplié les séjours, au Nord et au Sud. Et dans le récit de ces quatre mois d'offensive sur Saïgon, série de scènes au montage savant, rythmé à la mitraillette, il y a un parfum de chaleur humide, une ambiance de ciel plombé, le bruit de la guerre en hélicos. Et un regard "désidéologisé", plein de sympathie pour les hommes et les femmes rencontrés au fil du drame.

La morale de cette histoire figure dans un autre livre, celui d'un Américain, tout juste publié aux Etats-Unis. Dans How Wars End (Simon and Schuster), Gideon Rose, le patron de la revue ForeignAffairs, s'interroge sur ce phénomène : depuis la fin du deuxième conflit mondial, l'Amérique entre volontiers en guerre, mais elle ne sait pas en sortir. Très largement, dit-il, parce qu'elle est une démocratie d'opinion. Le reportage historique d'Olivier Todd arrive à la même conclusion.


LA CHUTE DE SAÏGON d'Olivier Todd. Tempus, 768 p., 12 €.

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